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impôt, dit Corneille Agrippa, rapportait plus de vingt mille ducats par année. Les prostituées étaient placées dans ces repaires par les prélats de la cour apostolique qui prélevaient encore un droit fixe sur leur produit. C’était un usage si universellement admis que j’ai entendu des évêques faire le compte de leur ressources et dire : J’ai deux bénéfices qui me valent trois mille ducats par an, une cure qui m’en donne cinq cents, un prieuré qui m’en vaut trois cents, et cinq filles dans les lupanars du pape, qui m’en rapportent trois cent cinquante. » (Albert Castelnau : La Renaissance italienne.)

Saint Augustin, qui fut le plus terrible ennemi des circoncellions, esclaves du Nord de l’Afrique, dans leur révolte contre les colonisateurs romains, justifiait leur esclavage par l’histoire biblique du châtiment de Cham, fils de Noé, qui est la plus abominable fable inventée pour légitimer la prétendue supériorité des blancs sur les noirs et les crimes commis en son nom. Saint Augustin prépara ainsi les arguments de l’esclavagisme colonial que l’Église consacrerait au XVe siècle. Bossuet rappela que l’apôtre Paul avait commandé aux esclaves d’obéir à leurs maîtres, et il justifia l’esclavage par le « droit de la guerre » et par le « droit des gens » en ajoutant ceci : « C’est un bienfait et un acte de clémence de la part du vainqueur, que de réduire le vaincu à l’esclavage !… »

L’hypocrisie protestante qui égale, si elle ne la dépasse, la tartufferie catholique, ne fut pas en retard pour employer des arguments semblables lorsque, en 1620, elle consacra à son tour l’organisation de la traite des noirs qu’on enlevait de Guinée pour fournir des esclaves aux Anglais établis en Amérique. On disait que les noirs devaient être esclaves toute leur vie « grâce à une heureuse disposition de la Providence » ! Les pieuses crapules qui s’enrichissaient de ce trafic rassuraient leurs consciences puritaines en déclarant qu’elles n’avaient d’autres vues que celles de « rassembler sur les têtes africaines les bénédictions du Dieu des chrétiens avec les bénéfices de la civilisation blanche !… » En 1859, les « philanthropes » américains qui firent la loi de bannissement des affranchis, disaient : « Notre devoir est de moraliser le nègre ; c’est par charité que nous le faisons esclave !… » Un nommé Callonn déclarait : « L’esclavage est la base la plus sûre et la plus stable des institutions libres (sic) dans le monde. » Un autre, Mac Duffie, renchérissait : « L’esclavage est la pierre angulaire de notre édifice républicain. » Et des savants, des pasteurs, arrivaient pour affirmer, au nom de la Science et de Dieu, « la noblesse et la divinité de l’institution de l’esclavage », sa nécessité « au bien-être et au développement de la race noire » !… Les noirs « ne pouvaient être heureux qu’en esclavage ; un abolitionniste ne pouvait être que Satan conspirant contre leur bonheur » !… Depuis, les anglo-américains ont aboli l’esclavage légal, mais ils n’ont pas cessé de « moraliser » les noirs et de faire leur « bonheur » en leur appliquant la loi de Lynch. On comprend qu’avec de tels principes l’Amérique pouvait dresser, face au Vieux-Monde, une statue de la « Liberté » pour « l’éclairer » !…

Malgré les abolitions décidées par la Convention en 1794, par la France et l’Angleterre en 1831 et 1833, par une entente internationale en 1848 et par l’Amérique en 1865, la traite des noirs et l’esclavage n’ont pas cessé d’être pratiqués plus ou moins ouvertement et cyniquement. La Commission temporaire de l’esclavage, qui siège à Genève à la Société des Nations, a constaté en 1931 que, malgré la convention internationale conclue en 1926 contre l’esclavage, il y avait encore dans le monde « au moins cinq millions d’esclaves » ! Combien de millions faudrait-il ajouter à ce nombre si l’on comptait toutes les victimes de la déportation clandestine opérée aux colonies, et de cet esclavage déguisé

sous les formes odieuses du « travail forcé » que l’hypocrisie « civilisatrice », approuvée par la Société des Nations, impose aux indigènes coloniaux ?

Dans son roman, l’Évadé, Rochefort a dénoncé le trafic des indigènes d’Océanie qui se pratiquait en 1873, pendant qu’il était déporté en Nouvelle Calédonie. Le même trafic a été constaté par l’auteur anonyme des Lettres des Îles Paradis, parues en 1926, et M. Paul Monet a montré dans ses Jauniers dans quelles conditions particulièrement odieuses la République radicale-socialiste de M. M. Sarraut et Cie laisse continuer, aujourd’hui plus que jamais, en Indo-Chine, le commerce de la chair humaine et le travail forcé des indigènes. En Rhodésie méridionale, pour ne parler que de cette colonie, les Anglais ont établi un véritable régime d’esclavage contre les enfants qu’on fait travailler sans limite d’âge dans les mines et dans les champs, et que leurs exploiteurs peuvent flageller sans jugement sous un quelconque prétexte de désobéissance ou pour une simple négligence.

Esclavage et servage se confondent sous toutes leurs formes dans les déportations et le travail forcé ; et l’Internationale Ouvrière elle-même les approuve lorsqu’elle dit, par la voix de M. Jouhaux, son délégué à la Société des Nations : « Pour être juste, il faut reconnaître que le travail forcé des indigènes peut se couvrir de quelques bonnes raisons. Dans les pays arriérés on ne saurait guère compter sur le travail librement consenti par les indigènes. » Cette opinion d’un personnage qui parle ou prétend parler au nom de la « classe ouvrière », n’est-elle pas digne de celle de l’Église et des « philanthropes » esclavagistes ?

Voilà comment l’Église travailla, de concert avec toutes les puissances et tous les organismes profiteurs de l’exploitation humaine, à la suppression de l’esclavage et du servage. Il n’est pas certain que malgré toutes les abolitions officielles, elle n’use pas encore aujourd’hui, aux colonies, du catéchisme publié en 1835 par l’abbé Fourdinier, disant que l’esclavage est « une institution chrétienne » !… Elle n’a jamais cessé de soutenir, dans le monde entier, les entreprises d’asservissement humain sous toutes leurs formes. Églises orientales ou occidentales, orthodoxes, catholiques ou protestantes, toutes se sont faites les instigatrices des pires persécutions contre les Bagaudes, les Bogomiles, les Vaudois, les Jacques, les Anabaptistes, les Camisards, contre tous ceux qu’a soulevés la révolte depuis vingt siècles (voir Révoltes). Luther et l’Église réformée ont participé sauvagement à l’écrasement et à l’asservissement des paysans allemands au XVIe siècle. Ivan le Terrible et Boris Godunov ont travaillé pour l’église russe en organisant la colonisation et le servage dans leur pays. Les conquistadores espagnols firent de même en Amérique pour le profit de l’église catholique. Celle-ci a soutenu toutes les contre-révolutions et elle est aujourd’hui avec Mussolini et Hitler, comme elle fut de tout temps avec tous les aventuriers qui ensanglantèrent le monde et étouffèrent la pensée et la liberté.

Une autre falsification historique non moins grossière est le récit de la fameuse nuit du 4 août 1789 où, dit-on, les nobles et les prêtres firent dans un généreux élan d’enthousiasme civique l’abandon de leurs privilèges féodaux, alors qu’ils n’abandonnèrent rien du tout. Effrayés par les révoltes des paysans qui mettaient le feu aux châteaux et aux abbayes et n’épargnaient même pas leurs personnes, ils eurent un geste d’apparente générosité comme ils en avaient eu de tout temps dans l’histoire, chaque fois qu’ils s’étaient sentis menacés. Mais ils eurent soin de rendre leur abandon inopérant en faisant adopter par l’Assemblée Nationale la condition du rachat. Il fallut alors quatre ans de luttes législatives, de protestations et d’insurrections populaires pour que l’abolition des droits féo-