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LIVRE v.

étendre sa domination et sa gloire propre, il ruinerait ses peuples. À quoi sert-il à un peuple, que son roi subjugue d’autres nations, si on est malheureux sous son règne ? D’ailleurs, les longues guerres entraînent toujours après elles beaucoup de désordres ; les victorieux mêmes se dérèglent pendant ces temps de confusion. Voyez ce qu’il en coûte à la Grèce pour avoir triomphé de Troie ; elle a été privée de ses rois pendant plus de dix ans. Lorsque tout est en feu par la guerre, les lois, l’agriculture, les arts languissent. Les meilleurs princes mêmes, pendant qu’ils ont une guerre à soutenir, sont contraints de faire le plus grand des maux, qui est de tolérer la licence, et de se servir des méchants. Combien y a-t-il de scélérats qu’on punirait pendant la paix, et dont on a besoin de récompenser l’audace dans les désordres de la guerre ! Jamais aucun peuple n’a eu un roi conquérant, sans avoir beaucoup à souffrir de son ambition. Un conquérant, enivré de sa gloire, ruine presque autant sa nation victorieuse que les nations vaincues. Un prince qui n’a point les qualités nécessaires pour la paix ne peut faire goûtera ses sujets les fruits d’une guerre heureusement finie : il est comme un homme qui défendrait son champ contre son voisin et qui usurperait celui du voisin même, mais qui ne saurait ni labourer ni semer, pour recueillir aucune moisson. Un tel homme semble né pour détruire, pour ravager, pour renverser le monde, et non pour rendre un peuple heureux par un sage gouvernement.

Venons maintenant au roi pacifique. Il est vrai qu’il n’est pas propre à de grandes conquêtes ; c’est-à-dire qu’il n’est pas né pour troubler le bonheur de son peuple, en voulant vaincre les autres peuples que la justice ne lui a pas soumis : mais, s’il est véritablement propre à gouver-