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TÉLÉMAQUE.

neur au milieu des femmes ; faites, malgré les dieux, ce que votre père crut indigne de lui.

Ces paroles de mépris percèrent Télémaque jusqu’au fond du cœur. Il se sentait attendri pour Mentor ; sa douleur était mêlée de honte ; il craignait l’indignation et le départ de cet homme si sage à qui il devait tant : mais une passion naissante, et qu’il ne connaissait pas lui-même, faisait qu’il n’était plus le même homme. Quoi donc ! disait-il à Mentor, les larmes aux yeux, vous ne comptez pour rien l’immortalité qui m’est offerte par la déesse ? Je compte pour rien, répondait Mentor, tout ce qui est contre la vertu et contre les ordres des dieux. La vertu vous rappelle dans votre patrie pour revoir Ulysse et Pénélope ; la vertu vous défend de vous abandonner à une folle passion. Les dieux, qui vous ont délivré de tant de périls pour vous préparer une gloire égale à celle de votre père, vous ordonnent de quitter cette île. L’Amour seul, ce honteux tyran, peut vous y retenir. Hé ! que feriez-vous d’une vie immortelle, sans liberté, sans vertu, sans gloire ? Cette vie serait encore plus malheureuse, en ce qu’elle ne pourrait finir.

Télémaque ne répondait à ce discours que par des soupirs. Quelquefois il aurait souhaité que Mentor l’eût arraché malgré lui de cette île ; quelquefois il lui tardait que Mentor fût parti, pour n’avoir plus devant ses yeux cet ami sévère qui lui reprochait sa faiblesse. Toutes ces pensées contraires agitaient tour à tour son cœur, et aucune n’y était constante : son cœur était comme la mer, qui est le jouet de tous les vents contraires. Il demeurait souvent étendu et immobile sur le rivage de la mer ; souvent dans le fond de quelque bois sombre, versant des larmes amères, et poussant des cris semblables aux rugis-