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LIVRE xi.

parler, son silence et la tristesse de son visage me faisaient assez entendre ce qu’il voulait me reprocher. Dans les commencements, cette sincérité me plaisait ; et je lui protestais souvent que je l’écouterais avec confiance toute ma vie, pour me préserver des flatteurs. Il me disait tout ce que je devais faire pour marcher sur les traces de mon aïeul Minos, et pour rendre mon royaume heureux. Il n’avait pas une aussi profonde sagesse que vous, ô Mentor ! mais ses maximes étaient bonnes : je le reconnais maintenant. Peu à peu les artifices de Protésilas, qui était jaloux et plein d’ambition, me dégoûtèrent de Philoclès. Celui-ci était sans empressement, et laissait l’autre prévaloir ; il se contentait de me dire toujours la vérité, lorsque je voulais l’entendre. C’était mon bien, et non sa fortune, qu’il cherchait.

Protésilas me persuada insensiblement que c’était un esprit chagrin et superbe, qui critiquait toutes mes actions ; qui ne me demandait rien, parce qu’il avait la fierté de ne vouloir rien tenir de moi, et d’aspirer à la réputation d’un homme qui est au-dessus de tous les honneurs : il ajouta que ce jeune homme, qui me parlait si librement sur mes défauts, en parlait aux autres avec la même liberté ; qu’il laissait assez entendre qu’il ne m’estimait guère ; et qu’en rabaissant ainsi ma réputation, il voulait, par l’éclat d’une vertu austère, s’ouvrir le chemin à la royauté.

D’abord je ne pus croire que Philoclès voulût me détrôner : il y a dans la véritable vertu une candeur et une ingénuité que rien ne peut contrefaire, et à laquelle on ne se méprend point, pourvu qu’on y soit attentif. Mais la fermeté de Philoclès contre mes faiblesses commençait à