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TÉLÉMAQUE.

d’agir secrètement au fond de mon cœur, et d’être le vrai motif de tout ce que je faisais.

Philoclès surprit les ennemis, remporta une pleine victoire, et se hâtait de revenir pour prévenir les mauvais offices qu’il avait à craindre : mais Protésilas, qui n’avait pas encore eu le temps de me tromper, lui écrivit que je désirais qu’il fit une descente dans l’île de Carpathie, pour profiter de la victoire. En effet, il m’avait persuadé que je pourrais facilement faire la conquête de cette île ; mais il fit en sorte que plusieurs choses nécessaires manquèrent à Philoclès dans cette entreprise, et il l’assujettit à certains ordres qui causèrent divers contre-temps dans l’exécution.

Cependant il se servit d’un domestique très-corrompu que j’avais auprès de moi, et qui observait jusqu’aux moindres choses pour lui en rendre compte, quoiqu’ils parussent ne se voir guère, et n’être jamais d’accord en rien. Ce domestique, nommé Timocrate, me vint dire un jour, en grand secret, qu’il avait découvert une affaire très-dangereuse. Philoclès, me dit-il, veut se servir de votre armée navale pour se faire roi de l’île de Carpathie : les chefs des troupes sont attachés à lui ; tous les soldats sont gagnés par ses largesses, et plus encore par la licence pernicieuse où il laisse vivre les troupes : il est enflé de sa victoire. Voilà une lettre qu’il écrit à un de ses amis sur son projet de se faire roi ; on n’en peut plus douter après une preuve si évidente.

Je lus cette lettre ; et elle me parut de la main de Philoclès. Mais on avait parfaitement imité son écriture ; et c’était Protésilas qui l’avait faite avec Timocrate. Cette lettre me jeta dans une étrange surprise : je la relisais sans cesse, et ne pouvais me persuader qu’elle fût de Philoclès, repassant dans mon esprit troublé toutes les marques tou-