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LIVRE xi.

même temps une autre ressource prête, par le mauvais succès d’une entreprise dont il m’avait fait tant espérer, et qui ne manquerait pas de m’irriter contre Philoclès. Celui-ci soutenait cette guerre si difficile par son courage, par son génie, et par l’amour que les troupes avaient pour lui. Quoique tout le monde reconnût dans l’armée que cette descente était téméraire, et funeste pour les Crétois, chacun travaillait à la faire réussir, comme s’il eût vu sa vie et son bonheur attachés au succès ; chacun était content de hasarder sa vie à toute heure sous un chef si sage, et si appliqué à se faire aimer.

Timocrate avait tout à craindre en voulant faire périr ce chef au milieu d’une armée qui l’aimait avec tant de passion ; mais l’ambition furieuse est aveugle. Timocrate ne trouvait rien de difficile pour contenter Protésilas, avec lequel il s’imaginait me gouverner absolument après la mort de Philoclès. Protésilas ne pouvait souffrir un homme de bien, dont la seule vue était un reproche secret de ses crimes, et qui pouvait, en m’ouvrant les yeux, renverser ses projets.

Timocrate s’assura de deux capitaines qui étaient sans cesse auprès de Philoclès ; il leur promit de ma part de grandes récompenses ; et ensuite il dit à Philoclès qu’il était venu pour lui dire de ma part des choses secrètes qu’il ne devait lui confier qu’en présence de ces deux capitaines. Philoclès se renferma avec eux et avec Timocrate. Alors Timocrate donna un coup de poignard à Philoclès. Le coup glissa, et n’enfonça guère avant. Philoclès, sans s’étonner, lui arracha le poignard, s’en servit contre lui et contre les deux autres. En même temps il cria : on accourut ; on enfonça la porte ; on dégagea Philoclès des mains de ces trois hommes, qui, étant troublés, l’avaient attaqué fai-