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LIVRE xii.

Après ce malheur de Lichas, je crus que je ne pouvais plus me fier à Hercule ; je songeais à me cacher dans les cavernes les plus profondes Je le voyais déraciner sans peine d’une main les hauts sapins et les vieux chênes, qui, depuis plusieurs siècles, avaient méprisé les vents et les tempêtes. De l’autre main il tâchait en vain d’arracher de dessus son dos la fatale tunique ; elle s’était collée sur sa peau, et comme incorporée à ses membres. À mesure qu’il la déchirait, il déchirait aussi sa peau et sa chair ; son sang ruisselait, et trempait la terre. Enfin sa vertu surmontant sa douleur, il s’écria : Tu vois, ô mon cher Philoctète, les maux que les dieux me font souffrir : ils sont justes ; c’est moi qui les ai offensés ; j’ai violé l’amour conjugal. Après avoir vaincu tant d’ennemis, je me suis lâchement laissé vaincre par l’amour d’une beauté étrangère : je péris ; et je suis content de périr pour apaiser les dieux. Mais, hélas ! cher ami, où est-ce que tu fuis ? L’excès de la douleur m’a fait commettre, il est vrai, contre ce misérable Lichas, une cruauté que je me reproche : il n’a pas su quel poison il me présentait ; il n’a point mérité ce que je lui ai fait souffrir : mais crois-tu que je puisse oublier l’amitié que je te dois, et vouloir t’arracher la vie ? Non, non, je ne cesserai point d’aimer Philoctète ; Philoctète recevra dans son sein mon âme prête à s’envoler : c’est lui qui recueillera mes cendres. Où es-tu donc, ô mon cher Philoctète ? Philoctète, la seule espérance qui me reste ici-bas !

À ces mots, je me hâte de courir vers lui ; il me tend les bras, et veut m’embrasser ; mais il se retient, dans la crainte d’allumer dans mon sein le feu cruel dont il est lui-même brûlé. Hélas ! dit-il, cette consolation même ne m’est plus permise. En parlant ainsi, il assemble tous ces arbres qu’il vient d’abattre ; il en fait un bûcher sur le sommet