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LIVRE i.

J’oublie que vous êtes des Grecs : nos ennemis deviennent nos amis fidèles. Les dieux vous ont envoyés pour nous sauver ; je n’attends pas moins de votre valeur que de la sagesse de vos conseils ; hâtez-vous de nous secourir.

Mentor montre dans ses yeux une audace qui étonne les plus fiers combattants. Il prend un bouclier, un casque, une épée, une lance ; il range les soldats d’Aceste ; il marche à leur tête et s’avance en bon ordre vers les ennemis. Aceste, quoique plein de courage, ne peut, dans sa vieillesse, le suivre que de loin. Je le suis de plus près, mais je ne puis égaler sa valeur. Sa cuirasse ressemblait, dans le combat, à l’immortelle égide. La mort courait de rang en rang partout sous ses coups. Semblable à un lion de Numidie que la cruelle faim dévore, et qui entre dans un troupeau de faibles brebis, il déchire, il égorge, il nage dans le sang ; et les bergers, loin de secourir le troupeau, fuient, tremblants, pour se dérober à sa fureur.

Ces Barbares, qui espéraient de surprendre la ville, furent eux-mêmes surpris et déconcertés. Les sujets d’Aceste, animés par l’exemple et par les ordres de Mentor, eurent une vigueur dont ils ne se croyaient point capables. De ma lance je renversai le fils du roi de ce peuple ennemi. Il était de mon âge, mais il était plus grand que moi : car ce peuple venait d’une race de géants qui étaient de la même origine que les Cyclopes. Il méprisait un ennemi aussi faible que moi : mais, sans m’étonner de sa force prodigieuse, ni de son air sauvage et brutal, je poussai ma lance contre sa poitrine, et je lui fis vomir, en expirant, des torrents d’un sang noir. Il pensa m’écraser. Dans sa chute ; le bruit de ses armes retentit jusqu’aux montagnes. Je pris ses dépouilles, et je revins trouver Aceste. Mentor, ayant achevé de mettre les ennemis en