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LIVRE xiv.

grains de sable qui couvrent les rivages de la mer ; et, dans l’agitation de cette multitude infinie, il est saisi d’une horreur divine, observant le profond silence de ces vastes lieux. Ses cheveux se dressent sur sa tête quand il aborde le noir séjour de l’impitoyable Platon, il sent ses genoux chancelants ; la voix lui manque ; et c’est avec peine qu’il peut prononcer au dieu ces paroles : Vous voyez, ô terrible divinité, le fils du malheureux Ulysse ; je viens vous demander si mon père est descendu dans votre empire, ou s’il est encore errant sur la terre.

Pluton était sur un trône d’ébène : son visage était pâle et sévère ; ses yeux creux et étincelants, son front ridé et menaçant : la vue d’un homme vivant lui était odieuse, comme la lumière offense les yeux des animaux qui ont accoutumé de ne sortir de leurs retraites que pendant la nuit. À son côté paraissait Proserpine, qui attirait seule ses regards, et qui semblait un peu adoucir son cœur : elle jouissait d’une beauté toujours nouvelle ; mais elle paraissait avoir joint à ces grâces divines je ne sais quoi de dur et de cruel de son époux.

Au pied du trône était la Mort, pâle et dévorante, avec sa faux tranchante qu’elle aiguisait sans cesse. Autour d’elle volaient les noirs Soucis, les cruelles Défiances ; les Vengeances, toutes dégoutantes de sang, et couvertes de plaies ; les Haines injustes, l’Avarice, qui se ronge elle-même ; le Désespoir, qui se déchire de ses propres mains ; l’Ambition forcenée, qui renverse tout ; la Trahison, qui veut se repaître de sang, et qui ne peut jouir des maux qu’elle a faits ; l’Envie, qui verse son venin mortel autour d’elle, et qui se tourne en rage, dans l’impuissance où elle est de nuire ; l’Impiété, qui se creuse elle-même un abîme sans fond, où elle se précipite sans espérance ; les