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TÉLÉMAQUE.

La vérité, qu’ils ont craint de voir, fait leur supplice ; ils la voient, et n’ont des yeux que pour la voir s’élever contre eux ; sa vue les perce, les déchire, les arrache à eux-mêmes : elle est comme la foudre ; sans rien détruire au dehors, elle pénètre jusqu’au fond des entrailles. Semblable à un métal dans une fournaise ardente, l’âme est comme fondue par ce feu vengeur ; il ne laisse aucune consistance, et il ne consume rien : il dissout jusqu’aux premiers principes de la vie, et on ne peut mourir. On est arraché à soi ; on n’y peut plus trouver ni appui ni repos pour un seul instant : on ne vit plus que par la rage qu’on a contre soi-même, et par une perte de toute espérance qui rend forcené.

Parmi ces objets, qui faisaient dresser les cheveux de Télémaque sur sa tête, il vit plusieurs des anciens rois de Lydie, qui étaient punis pour avoir préféré les délices d’une vie molle au travail qui doit être inséparable de la royauté, pour le soulagement des peuples.

Ces rois se reprochaient les uns aux autres leur aveuglement. L’un disait à l’autre, qui avait été son fils : Ne vous avais-je pas recommandé souvent, pendant ma vieillesse et avant ma mort, de réparer les maux que j’avais faits par ma négligence ? Le fils répondait : Ô malheureux père, c’est vous qui m’avez perdu ! c’est votre exemple qui m’a accoutumé au faste, à l’orgueil, à la volupté, à la dureté pour les hommes ! En vous voyant régner avec tant de mollesse, avec tant de lâches flatteurs autour de vous, je me suis accoutumé à aimer la flatterie et les plaisirs. J’ai cru que le reste des hommes était, à l’égard des rois, ce que les chevaux et les autres bêtes de charge sont à l’égard des hommes, c’est-à-dire des animaux dont on ne fait cas qu’autant qu’ils rendent de services, et qu’ils donnent de com-