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LIVRE xiv.

merci d’un homme fougueux, et plus facile à irriter que la mer la plus orageuse. Les Parques ont accourci le fil de ses jours ; il a été comme une fleur à peine éclose que le tranchant de la charrue coupe, et qui tombe avant la fin du jour où l’on l’avait vue naître. Les dieux n’ont voulu s’en servir que comme des torrent et des tempêtes, pour punir les hommes de leurs crimes ; ils ont fait servir Achille à abattre les murs de Troie, pour venger le parjure de Laomédon et les injustes amours de Pâris. Après avoir employé ainsi cet instrument de leurs vengeances, ils se sont apaisés, et ils ont refusé aux larmes de Thétis de laisser plus longtemps sur la terre ce jeune héros, qui n’y était propre qu’à troubler les hommes, qu’à renverser les villes et les royaumes.

Mais vois-tu cet autre avec ce visage farouche ? c’est Ajax, fils de Télamon et cousin d’Achille : tu n’ignores pas sans doute quelle fut sa gloire dans les combats ? Après la mort d’Achille, il prétendit qu’on ne pouvait donner ses armes à nul autre qu’à lui ; ton père ne crut pas les lui devoir céder : les Grecs jugèrent en faveur d’Ulysse. Ajax se tua de désespoir ; l’indignation et la fureur sont encore peintes sur son visage. N’approche pas de lui, mon fils ; car il croirait que tu voudrais lui insulter dans son malheur, et il est juste de le plaindre : ne remarques-tu pas qu’il nous regarde avec peine, et qu’il entre brusquement dans ce sombre bocage, parce que nous lui sommes odieux ? Tu vois de cet autre côté Hector, qui eût été invincible si le fils de Thétis n’eût point été au monde dans le même temps. Mais voilà Agamemnon qui passe, et qui porte encore sur lui les marques de la perfidie de Clytemnestre. Ô mon fils ! je frémis en pensant aux malheurs de cette famille de l’impie Tantale. La division des deux frères Atrée