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TÉLÉMAQUE.

fert secrètement aux alliés de leur livrer, la nuit, une des portes de la ville. Cet avantage était d’autant plus grand, qu’Adraste avait mis toutes ses provisions de guerre et de bouche dans un château voisin de Venuse, qui ne pouvait se défendre si Venuse était prise. Philoctète et Nestor avaient déjà opiné qu’il fallait profiter d’une si heureuse occasion. Tous les chefs, entraînés par leur autorité, et éblouis par l’utilité d’une si facile entreprise, applaudissaient à ce sentiment ; mais Télémaque, à son retour, fit les derniers efforts pour les en détourner.

Je n’ignore pas, leur dit-il, que si jamais un homme a mérité d’être surpris et trompé, c’est Adraste, lui qui a si souvent trompé tout le monde. Je vois bien qu’en surprenant Venuse, vous ne feriez que vous mettre en possession d’une ville qui vous appartient, puisqu’elle est aux Apuliens, qui sont un des peuples de votre ligue. J’avoue que vous le pourriez faire avec d’autant plus d’apparence de raison, qu’Adraste, qui a mis cette ville en dépôt, a corrompu le commandant et la garnison, pour y entrer quand il le jugera à propos. Enfin, je comprends, comme vous, que, si vous preniez Venuse, vous seriez maîtres, dès le lendemain, du château où sont tous les préparatifs de guerre qu’Adraste y a assemblés, et qu’ainsi vous finiriez en deux jours cette guerre si formidable. Mais ne vaut-il pas mieux périr, que vaincre par de tels moyens ? Faut-il repousser la fraude par la fraude ? Sera-t-il dit que tant de rois, ligués pour punir l’impie Adraste de ses tromperies, seront trompeurs comme lui ? S’il nous est permis de faire comme Adraste, il n’est point coupable, et nous avons tort de vouloir le punir. Quoi ! l’Hespérie entière, soutenue de tant de colonies grecques et de héros revenus du siège de Troie, n’a-t-elle point d’autres armes contre la perfidie et les