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TÉLÉMAQUE.

Aussitôt on renvoya Dioscore à Adraste, qui frémit du péril où il avait été, et qui ne pouvait assez s’étonner de la générosité de ses ennemis ; car les méchants ne peuvent comprendre la pure vertu. Adraste admirait, malgré lui, ce qu’il venait de voir, et n’osait le louer. Cette action noble des alliés rappelait un honteux souvenir de toutes ses tromperies et de toutes ses cruautés. Il cherchait à rabaisser la générosité de ses ennemis, et était honteux de paraître ingrat, pendant qu’il leur devait la vie : mais les hommes corrompus s’endurcissent bientôt contre tout ce qui pourrait les toucher. Adraste, qui vit que la réputation des alliés augmentait tous les jours, crut qu’il était pressé de faire contre eux quelque action éclatante : comme il n’en pouvait faire aucune de vertu, il voulut du moins tâcher de remporter quelque grand avantage sur eux par les armes, et il se hâta de combattre.

Le jour du combat étant venu, à peine l’Aurore ouvrait au Soleil les portes de l’orient, dans un chemin semé de roses, que le jeune Télémaque, prévenant par ses soins la vigilance des plus vieux capitaines, s’arracha d’entre les bras du doux sommeil, et mit en mouvement tous les officiers. Son casque, couvert de crins flottants, brillait déjà sur sa tête, et sa cuirasse sur son dos éblouissait les yeux de toute l’armée : l’ouvrage de Vulcain avait, outre sa beauté naturelle, l’éclat de l’égide qui y était cachée. Il tenait sa lance d’une main, de l’autre il montrait les divers postes qu’il fallait occuper. Minerve avait mis dans ses yeux un feu divin, et sur son visage une majesté fière qui promettait déjà la victoire. Il marchait ; et tous les rois, oubliant leur âge et leur dignité, se sentaient entraînés par une force supérieure qui leur faisait suivre ses pas. La faible Jalousie ne peut plus entrer dans les