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LIVRE ii.

this. Je devais succomber en cette occasion : la douleur me pressant, j’oubliai un jour mon troupeau, et je m’étendis sur l’herbe auprès d’une caverne où j’attendais la mort, ne pouvant plus supporter mes peines.

En ce moment, je remarquai que toute la montagne tremblait : les chênes et les pins semblaient descendre du sommet de la montagne ; les vents retenaient leurs haleines ; une voix mugissante sortit de la caverne, et me fit entendre ces paroles : Fils du sage Ulysse, il faut que tu deviennes, comme lui, grand par la patience : les princes qui ont toujours été heureux ne sont guère dignes de l’être ; la mollesse les corrompt, l’orgueil les enivre. Que tu seras heureux, si tu surmontes tes malheurs, et si tu ne les oublies jamais ! Tu reverras Ithaque, et ta gloire montera jusqu’aux astres. Quand tu seras le maître des autres hommes, souviens-toi que tu as été faible, pauvre et souffrant comme eux ; prends plaisir à les soulager ; aime ton peuple, déteste la flatterie ; et sache que tu ne seras grand qu’autant que tu seras modéré, et courageux pour vaincre tes passions.

Ces paroles divines entrèrent jusqu’au fond de mon cœur ; elles y firent renaître la joie et le courage. Je ne sentis point cette horreur qui fait dresser les cheveux sur la tête, et qui glace le sang dans les veines, quand les dieux se communiquent aux mortels ; je me levai tranquille : j’adorai à genoux, les mains levées vers le ciel, Minerve, à qui je crus devoir cet oracle. En même temps je me trouvai un nouvel homme ; la sagesse éclaira mon esprit ; je sentais une douce force pour modérer toutes mes passions, et pour arrêter l’impétuosité de ma jeunesse. Je me fis aimer de tous les bergers du désert ; ma douceur, ma patience, mon exactitude, apaisèrent enfin le cruel