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TÉLÉMAQUE.

dans son parti ; tous les malheurs dont Polydamas l’avait si longtemps menacé n’arrivaient point. Adraste se moquait d’une sagesse timide qui prévoyait toujours des inconvénients ; Polydamas lui était insupportable : il l’éloigna de toutes les charges ; il le laissa languir dans la solitude et dans la pauvreté.

D’abord Polydamas fut accablé de cette disgrâce ; mais elle lui donna ce qui lui manquait, en lui ouvrant les yeux sur la vanité des grandes fortunes : il devint sage à ses dépens ; il se réjouit d’avoir été malheureux ; il aigrit peu à peu à se taire, à vivre de peu, à se nourrir tranquillement de la vérité, à cultiver en lui les vertus secrètes, qui sont encore plus estimables que les éclatantes ; enfin à se passer des hommes. Il demeura au pied du mont Gargan, dans un désert, où un rocher en demi-voûte lui servait de toit. Un ruisseau, qui tombait de la montagne, apaisait sa soif ; quelques arbres lui donnaient leurs fruits : il avait deux esclaves qui cultivaient un petit champ ; il travaillait lui-même avec eux de ses propres mains : la terre le payait de ses peines avec usure, et ne le laissait manquer de rien. Il avait non-seulement des fruits et des légumes en abondance, mais encore toutes sortes de fleurs odoriférantes. Là il déplorait le malheur des peuples que l’ambition insensée d’un roi entraîne à leur perte ; là il attendait chaque jour que les dieux justes, quoique patients, fissent tomber Adraste. Plus sa prospérité croissait, plus il croyait voir de près sa chute irrémédiable ; car l’imprudence heureuse dans ses fautes, et la puissance montée jusqu’au dernier excès d’autorité absolue, sont les avant-coureurs du renversement des rois et des royaumes. Quand il apprit la défaite et la mort d’Adraste, il ne témoigna aucune joie ni de l’avoir prévue, ni d’être délivré de ce