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LIVRE ii.

voyait l’avenir par la profonde sagesse qui lui faisait connaître les hommes, et les desseins dont ils sont capables. Avec tant de prudence, il était gai, complaisant ; et la jeunesse la plus enjouée n’a point autant de grâces qu’en avait cet homme dans une vieillesse si avancée : aussi aimait-il les jeunes gens quand ils étaient dociles, et qu’ils avaient le goût de la vertu.

Bientôt il m’aima tendrement, et me donna des livres pour me consoler : il m’appelait, Mon fils. Je lui disais souvent : Mon père, les dieux, qui m’ont ôté Mentor ont eu pitié de moi ; ils m’ont donné en vous un autre soutien. Cet homme, semblable à Orphée ou à Linus, était sans doute inspiré des dieux : il me récitait les vers qu’il avait faits, et me donnait ceux de plusieurs excellents poëtes favorisés des Muses. Lorsqu’il était revêtu de sa longue robe d’une éclatante blancheur, et qu’il prenait en main sa lyre d’ivoire, les tigres, les lions et les ours venaient le flatter et lécher ses pieds ; les Satyres sortaient des forêts pour danser autour de lui ; les arbres mêmes paraissaient émus ; et vous auriez cru que les rochers attendris allaient descendre du haut des montagnes, au charme de ses doux accents. Il ne chantait que la grandeur des dieux, la vertu des héros, et la sagesse des hommes qui préfèrent la gloire aux plaisirs.

Il me disait souvent que je devais prendre courage, et que les dieux n’abandonneraient ni Ulysse, ni son fils. Enfin il m’assura que je devais, à l’exemple d’Apollon, enseigner aux bergers à cultiver les Muses. Apollon, disait-il, indigné de ce que Jupiter par ses foudres troublait le ciel dans les plus beaux jours, voulut s’en venger sur les Cyclopes qui forgeaient les foudres, et il les perça de ses flèches. Aussitôt le mont Etna cessa de vomir des tourbillons