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LIVRE xvii.

inquiétudes. Semblable à un grand arbre qui couvre la terre de l’ombre de ses rameaux épais, et dont un ver commence à ronger la tige dans les canaux déliés où la sève coule pour sa nourriture ; cet arbre, que les vents n’ont jamais ébranlé, que la terre féconde se plaît à nourrir dans son sein, et que la hache du laboureur a toujours respecté, ne laisse pas de languir sans qu’on puisse découvrir la cause de son mal ; il se flétrit, il se dépouille de ses feuilles qui sont sa gloire ; il ne montre plus qu’un tronc couvert d’une écorce entrouverte, et des branches sèches : tel parut Idoménée dans sa douleur.

Télémaque attendri n’osait lui parler : il craignait le jour du départ, il cherchait des prétextes pour le retarder, et il serait demeuré longtemps dans cette incertitude, si Mentor ne lui eût dit : Je suis bien aise de vous voir si changé. Vous étiez né dur et hautain ; votre cœur ne se laissait toucher que de vos commodités et de vos intérêts ; mais vous êtes enfin devenu homme, et vous commencez, par l’expérience de vos maux, à compatir à ceux des autres. Sans cette compassion, on n’a ni bonté, ni vertu, ni capacité pour gouverner les hommes : mais il ne faut pas la pousser trop loin, ni tomber dans une amitié faible. Je parlerais volontiers à Idoménée pour le faire consentir à notre départ, et je vous épargnerais l’embarras d’une conversation si fâcheuse ; mais je ne veux point que la mauvaise honte et la timidité dominent votre cœur. Il faut que vous vous accoutumiez à mêler le courage et la fermeté avec une amitié tendre et sensible. Il faut craindre d’affliger les hommes sans nécessité ; il faut entrer dans leur peine, quand on ne peut éviter de leur en faire ; et adoucir le plus qu’on peut le coup qu’il est impossible de leur épargner entièrement. C’est pour chercher cet adou-