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TÉLÉMAQUE.

Nous passions les jours entiers et une partie des nuits à chanter ensemble. Tous les bergers, oubliant leurs cabanes et leurs troupeaux, étaient suspendus et immobiles autour de moi pendant que je leur donnais des leçons : il semblait que ces déserts n’eussent plus rien de sauvage ; tout y était devenu doux et riant ; la politesse des habitants semblait adoucir la terre.

Nous nous assemblions souvent pour offrir des sacrifices dans ce temple d’Apollon où Termosiris était prêtre. Les bergers y allaient couronnés de lauriers en l’honneur du dieu ; les bergères y allaient aussi, en dansant, avec des couronnes de fleurs, et portant sur leurs têtes, dans des corbeilles, les dons sacrés. Après le sacrifice, nous faisions un festin champêtre ; nos plus doux mets étaient le lait de nos chèvres et de nos brebis, que nous avions soin de traire nous-mêmes, avec les fruits fraîchement cueillis de nos propres mains, tels que les dattes, les figues et les raisins : nos sièges étaient de gazon ; les arbres touffus nous donnaient une ombre plus agréable que les lambris dorés des palais des rois.

Mais ce qui acheva de me rendre fameux parmi nos bergers, c’est qu’un jour un lion affamé vint se jeter sur mon troupeau : déjà il commençait un carnage affreux ; je n’avais en main que ma houlette ; je m’avance hardiment. Le lion hérisse sa crinière, me montre ses dents et ses griffes, ouvre une gueule sèche et enflammée ; ses yeux paraissaient pleins de sang et de feu ; il bat ses flancs avec sa longue queue. Je le terrasse : la petite cotte de mailles dont j’étais revêtu, selon la coutume des bergers d’Égypte, l’empêcha de me déchirer. Trois fois je l’abattis, trois fois il se releva ; il poussait des rugissements qui faisaient retentir toutes les forêts. Enfin je l’étouffai entre mes bras ; et les bergers,