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TÉLÉMAQUE.

pour tâcher d’en savoir des nouvelles, Sésostris, qui était fort âgé, mourut subitement, et sa mort me replongea dans de nouveaux malheurs.

Toute l’Égypte parut inconsolable dans cette perte : chaque famille croyait avoir perdu son meilleur ami, son protecteur, son père. Les vieillards, levant les mains au ciel, s’écriaient : Jamais l’Égypte n’eut un si bon roi ; jamais elle n’en aura de semblable. Ô dieux ! Il fallait ou ne le montrer point aux hommes, ou ne le leur ôter jamais : pourquoi faut-il que nous survivions au grand Sésostris ! Les jeunes gens disaient : L’espérance de l’Égypte est détruite : nos pères ont été heureux de passer leur vie sous un si bon roi ; pour nous, nous ne l’avons vu que pour sentir sa perte. Ses domestiques pleuraient nuit et jour. Quand on fit les funérailles du roi, pendant quarante jours tous les peuples les plus reculés y accoururent en foule : chacun voulait voir encore une fois le corps de Sésostris ; chacun voulait en conserver l’image ; plusieurs voulurent être mis avec lui dans le tombeau.

Ce qui augmenta encore la douleur de sa perte, c’est que son fils Bocchoris n’avait ni humanité pour les étrangers, ni curiosité pour les sciences, ni estime pour les hommes vertueux, ni amour de la gloire. La grandeur de son père avait contribué à le rendre si indigne de régner. Il avait été nourri dans la mollesse et dans une fierté brutale ; il comptait pour rien les hommes, croyant qu’ils n’étaient faits que pour lui, et qu’il était d’une autre nature qu’eux : il ne songeait qu’à contenter ses passions, qu’à dissiper les trésors immenses que son père avait ménagés avec tant de soin, qu’à tourmenter les peuples, et qu’à sucer le sang des malheureux ; enfin qu’à suivre les conseils flatteurs des jeunes insensés qui l’environnaient, pendant qu’il écartait avec mé-