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FABLES.

mants. Un grand nombre de dames étaient occupées à la servir. On ne songeait qu’à deviner ce qui pouvait lui plaire, pour le lui donner avant qu’elle eût la peine de le demander. Elle était logée dans un magnifique appartement du palais, qui n’avait, au lieu de tapisseries, que de grandes glaces de miroir de toute la hauteur des chambres et des cabinets, afin qu’elle eût le plaisir de voir sa beauté multipliée de tous côtés, et que le prince pût l’admirer en quelque endroit qu’il jetât les yeux. Rosimond avait quitté la chasse, le jeu, tous les exercices du corps, pour être sans cesse auprès d’elle : et comme le roi son père était mort bientôt après le mariage, c’était la sage Florise, devenue reine, dont les conseils décidaient de toutes les affaires de l’État. La reine, mère du nouveau roi, nommée Gronipote, fut jalouse de sa belle-fille. Elle était artificieuse, maligne, cruelle. La vieillesse avait ajouté une affreuse difformité à sa laideur naturelle, et elle ressemblait à une furie. La beauté de Florise la faisait paraître encore plus hideuse, et l’irritait à tout moment : elle ne pouvait souffrir qu’une si belle personne la défigurât. Elle craignait aussi son esprit, et elle s’abandonna à toutes les fureurs de l’envie. Vous n’avez point de cœur, disait-elle souvent à son fils, d’avoir voulu épouser cette petite paysanne, et vous avez la bassesse d’en faire votre idole : elle est fière comme si elle était née dans la place où elle est. Quand le roi votre père voulut se marier, il me préféra à toute autre, parce que j’étais la fille d’un roi égal à lui. C’est ainsi que vous deviez faire. Renvoyez cette petite bergère dans son village, et songez à quelque jeune princesse dont la naissance vous convienne. Rosimond résistait à sa mère : mais Gronipote enleva un jour un billet que Florise écrivait au roi, et le donna à un jeune homme de la cour, qu’elle obligea d’aller porter ce billet au roi, comme si Florise lui avait témoigné toute l’amitié qu’elle ne devait avoir que pour le roi seul. Rosimond, aveuglé par sa jalousie et par les conseils malins que lui donna sa mère, fit enfermer Florise pour toute sa vie dans