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FABLES.

apparu si favorablement. Il allait tous les jours auprès de la caverne où il avait eu le bonheur de la voir autrefois ; et c’était dans l’espérance de l’y revoir. Enfin, elle s’y présenta encore à lui, et il lui rendit l’anneau enchanté. Je vous rends, lui dit-il, un don d’un si grand prix, mais si dangereux, et duquel il est si facile d’abuser. Je ne me croirai en sûreté que quand je n’aurai plus de quoi sortir de ma solitude avec tant de moyens de contenter toutes mes passions.

Pendant que Rosimond rendait cette bague, Braminte, dont le méchant naturel n’était point corrigé, s’abandonnait à toutes ses passions, et voulut engager le jeune prince, qui était devenu roi, à traiter indignement Rosimond. La fée dit à Rosimond : Votre frère, toujours imposteur, a voulu vous rendre suspect au nouveau roi, et vous perdre ; il mérite d’être puni, et il faut qu’il périsse. Je m’en vais lui donner cette bague que vous me rendez. Rosimond pleura le malheur de son frère, puis il dit à la fée : Comment prétendez-vous le punir par un si merveilleux présent ? Il en abusera pour persécuter tous les gens de bien, et pour avoir une puissance sans bornes. Les mêmes choses, répondit la fée, sont un remède salutaire aux uns, et un poison mortel aux autres. La prospérité est la source de tous les maux pour les méchants. Quand on veut punir un scélérat, il n’y a qu’à le rendre bien puissant pour le faire périr bientôt. Elle alla ensuite au palais, elle se montra à Braminte sous la figure d’une vieille femme couverte de haillons ; elle lui dit : J’ai tiré des mains de votre frère la bague que je lui avais prêtée, et avec laquelle il s’était acquis tant de gloire : recevez-la de moi, et pensez bien à l’usage que vous en ferez. Braminte répondit en riant : Je ne ferai pas comme mon frère, qui fut assez insensé pour aller chercher le prince, au lieu de régner en sa place. Braminte, avec cette bague, ne songea qu’à découvrir le secret de toutes les familles, qu’à commettre des trahisons, des meurtres et des infamies, qu’à écouter les conseils du roi, qu’à enlever les richesses des particuliers.