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FABLES.

sont d’une délicatesse et d’une propreté exquise. Le soir, je fus lassé d’avoir passé toute la journée à table comme un cheval à son ratelier. Je pris la résolution de faire tout le contraire le lendemain, et de ne me nourrir que de bonnes odeurs. On me donna à déjeuner de la fleur d’orange. À dîner, ce fut une nourriture plus forte : on me servit des tubéreuses, et puis des peaux d’Espagne. Je n’eus que des jonquilles à la collation. Le soir, on me donna à souper de grandes corbeilles pleines de toutes les fleurs odoriférantes, et on y ajouta des cassolettes de toutes sortes de parfums. La nuit, j’eus une indigestion pour avoir trop senti tant d’odeurs nourrissantes. Le jour suivant, je jeûnai, pour me délasser de la fatigue des plaisirs de la table. On me dit qu’il y avait en ce pays-là une ville toute singulière, et on me promit de m’y mener par une voiture qui m’était inconnue. On me mit dans une petite chaise de bois fort légère, et toute garnie de grandes plumes, et on attacha à cette chaise, avec des cordes de soie, quatre grands oiseaux grands comme des autruches, qui avaient des ailes proportionnées à leurs corps. Ces oiseaux prirent d’abord leur vol Je conduisis les rênes du côté de l’orient qu’on m’avait marqué. Je voyais à mes pieds les hautes montagnes ; et nous volâmes si rapidement, que je perdais presque l’haleine en fendant la vague de l’air. En une heure nous arrivâmes à cette ville si renommée. Elle est toute de marbre, et elle est grande trois fois comme Paris. Toute la ville n’est qu’une seule maison. Il y a vingt-quatre grandes cours, dont chacune est grande comme le plus grand palais du monde ; et au milieu de ces vingt-quatre cours, il y en a une vingt-cinquième qui est six fois plus grande que chacune des autres. Tous les logements de cette maison sont égaux, car il n’y a point d’inégalité de condition entre les habitants de cette ville. Il n’y a là ni domestique ni petit peuple ; chacun se sert soi-même, personne n’est servi : il y a seulement des souhaits, qui sont de petits esprits follets et voltigeants, qui donnent à chacun tout ce qu’il désire dans le moment même. En arrivant, je re-