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FABLES.

raison, les remontrances utiles deviennent l’objet de son aversion la plus vive, et il frémit si quelqu’un ouvre la bouche devant lui pour lui donner un sage conseil. Il fait bâtir un magnifique palais où on ne voit luire que l’or, l’argent et le marbre, où tout est prodigué pour contenter les yeux et appeler le plaisir. Le fruit de tant de soins pour se satisfaire, c’est l’ennui, l’inquiétude. À peine a-t-il ce qu’il souhaite, qu’il s’en dégoûte : il faut qu’il change souvent de demeure, qu’il coure sans cesse de palais en palais, qu’il abatte et qu’il réédifie. Le beau, l’agréable, ne le touchent plus ; il lui faut du singulier, du bizarre, de l’extraordinaire : tout ce qui est naturel et simple lui paraît insipide, et il tombe dans un tel engourdissement, qu’il ne vit plus, qu’il ne sent plus que par secousse, par soubresaut. Pylos, sa capitale, change de face. On y aimait le travail, on y honorait les dieux ; la bonne foi régnait dans le commerce, tout y était dans l’ordre ; et le peuple même trouvait, dans les occupations utiles qui se succédaient sans l’accabler, l’aisance et la paix. Un luxe effréné prend la place de la décence et des vraies richesses : tout y est prodigué aux vains agréments, aux commodités recherchées. Les maisons, les jardins, les édifices publics changent de forme ; tout y devient singulier ; le grand, le majestueux, qui sont toujours simple, ont disparu. Mais ce qui est encore plus fâcheux, les habitants, à l’exemple de Nélée, n’aiment, n’estiment, ne recherchent que la volupté : on la poursuit aux dépens de l’innocence et de la vertu ; on s’agite, on se tourmente pour saisir une ombre vaine et fugitive de bonheur, et l’on en perd le repos et la tranquillité ; personne n’est content, parce que l’on veut l’être trop, parce qu’on ne sait rien souffrir ni rien attendre. L’agriculture et les autres arts utiles sont devenus presque avilissants : ce sont ceux que la mollesse a inventés qui sont en honneur, qui mènent à la richesse, et auxquels on prodigue les encouragements. Les trésors que Nestor et Pisistrate avaient amassés sont bientôt dissipés, les revenus de