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FABLES.

l’État deviennent la proie de l’étourderie et de la cupidité. Le peuple murmure, les grands se plaignent, les sages seuls gardent quelque temps le silence ; ils parlent enfin, et leur voix respectueuse se fait entendre à Nélée. Ses yeux s’ouvrent, son cœur s’attendrit. Il a encore recours à Minerve : il se plaint à la déesse de sa facilité à exaucer ses vœux téméraires ; il la conjure de retirer ses dons perfides, il lui demande la sagesse et la justice. Que j’étais aveugle ! s’écria-t-il : mais je connais mon erreur, je déteste la faute que j’ai faite, je veux la réparer, et chercher dans l’application à mes devoirs, dans le soin de soulager mon peuple, et dans l’innocence et la pureté des mœurs, le repos et le bonheur que j’ai vainement cherchés dans les plaisirs des sens.





XXXIII. Histoire d’Alibée, Persan.




Schah-Abbas, roi de Perse, faisant un voyage, s’écarta de toute sa cour, pour passer dans la campagne sans y être connu, et pour y voir les peuples dans toute leur liberté naturelle. Il prit seulement avec lui un de ses courtisans. Je ne connais point, lui dit le roi, les véritables mœurs des hommes : tout ce qui nous aborde est déguisé ; c’est l’art, et non pas la nature simple qui se montre à nous. Je veux étudier la vie rustique, et voir ce genre d’hommes qu’on méprise tant, quoiqu’ils soient le vrai soutien de toute la société humaine. Je suis las de voir des courtisans qui m’observent pour me surprendre en me flattant : il faut que j’aille voir des laboureurs et des bergers qui ne me connaissent pas. Il passa avec son confident, au milieu de plusieurs villages où l’on faisait des danses ; et il était ravi de trouver loin des cours des plaisirs tranquilles et sans dépense. Il fit un repas dans une cabane ; et comme il avait grand faim, après avoir marché plus qu’à l’ordinaire, les aliments grossiers qu’il y prit lui parurent plus agréables que tous les mets exquis de sa table. En passant dans