Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/53

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cevoir en moi je ne sais quoi d’heureux qui vient des dons du ciel, et qui n’est point dans le commun des hommes. Il était naturellement sincère et généreux : il fut touché de mon malheur, et me parla avec une confiance que les dieux lui inspirèrent pour me sauver d’un grand péril.

« Télémaque, je ne doute point, me dit-il, de ce que vous me dites, et je ne saurais en douter ; la douleur et la vertu peintes sur votre visage ne me permettent pas de me défier de vous ; je sens même que les dieux, que j’ai toujours servis, vous aiment, et qu’ils veulent que je vous aime aussi comme si vous étiez mon fils. Je vous donnerai un conseil salutaire ; et, pour récompense je ne vous demande que le secret. Ne craignez point, lui dis-je, que j’aie aucune peine à me taire sur les choses que vous voudrez me confier : quoique je sois si jeune, j’ai déjà vieilli dans l’habitude de ne dire jamais mon secret, et encore plus de ne trahir jamais, sous aucun prétexte, le secret d’autrui. Comment avez-vous pu, me dit-il, vous accoutumer au secret dans une si grande jeunesse ? Je serai ravi d’apprendre par quel moyen vous avez acquis cette qualité, qui est le fondement de la plus sage conduite, et sans laquelle tous les talents sont inutiles.

Quand Ulysse, lui dis-je, partit pour aller au siège de Troie, il me prit sur ses genoux et entre ses bras (c’est ainsi qu’on me l’a raconté) ; après m’avoir baisé tendrement, il me dit ces paroles, quoique je ne pusse les entendre : Ô mon fils ! que les dieux me préservent de te revoir jamais ; que plutôt le ciseau de la Parque tranche le fil de tes jours lorsqu’il est à peine formé, de même que le moissonneur tranche de sa faux une tendre fleur qui commence à éclore ; que mes ennemis te puissent écraser