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FABLES.

une prairie semée de fleurs, qui bordait un clair ruisseau, il aperçut un jeune berger qui jouait de la flûte à l’ombre d’un grand ormeau, auprès de ses moutons paissants. Il l’aborde, il l’examine ; il lui trouve une physionomie agréable, un air simple et ingénu, mais noble et gracieux. Les haillons dont le berger était couvert ne diminuaient point l’éclat de sa beauté. Le roi crut d’abord que c’était quelque personne de naissance illustre qui s’était déguisée : mais il apprit du berger que son père et sa mère étaient dans un village voisin, et que son nom était Alibée. À mesure que le roi le questionnait, il admirait en lui un esprit ferme et raisonnable. Ses yeux étaient vifs, et n’avaient rien d’ardent ni de farouche ; sa voix était douce, insinuante et propre à toucher : son visage n’avait rien de grossier ; mais ce n’était pas une beauté molle et efféminée. Le berger, d’environ seize ans, ne savait point qu’il fût tel qu’il paraissait aux autres : il croyait penser, parler, être fait comme tous les autres bergers de son village ; mais, sans éducation, il avait appris tout ce que la raison fait apprendre à ceux qui l’écoutent. Le roi, l’ayant entretenu familièrement, en fut charmé : il sut de lui sur l’état des peuples tout ce que les rois n’apprennent jamais d’une foule de flatteurs qui les environnent. De temps en temps il riait de la naïveté de cet enfant, qui ne ménageait rien dans ses réponses. C’était une grande nouveauté pour le roi, que d’entendre parler si naturellement : il fit signe au courtisan qui l’accompagnait de ne point découvrir qu’il était le roi, car il craignait qu’Alibée ne perdît en un moment toute sa liberté et toutes ses grâces, s’il venait à savoir devant qui il parlait. Je vois bien, disait le prince au courtisan, que la nature n’est pas moins belle dans les plus basses conditions que dans les plus hautes. Jamais enfant de roi n’a paru mieux né que celui-ci, qui garde les moutons. Je me trouverais trop heureux d’avoir un fils aussi beau, aussi sensé, aussi aimable. Il me paraît propre à tout ; et si on a soin de l’instruire, ce sera assurément un jour un grand homme : je veux le faire élever au-