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FABLES.

libée avait un air simple, doux et ingénu, mais noble, ferme et hardi. Son père jetait les yeux sur lui, et ses yeux se noyaient de larmes. Poéménis était instruite par sa mère dans tous les beaux-arts que Minerve a donnés aux hommes : elle ajoutait aux ouvrages les plus exquis les charmes d’une voix qu’elle joignait avec une lyre plus touchante que celle d’Orphée. À la voir, on eût cru que c’était la jeune Diane sortie de l’île flottante où elle naquit. Ses cheveux blonds étaient noués négligemment derrière sa tête ; quelques-uns échappés flottaient sur son cou au gré des vents. Elle n’avait qu’une robe légère, avec une ceinture qui la relevait un peu, pour être plus en état d’agir. Sans parure, elle effaçait tout ce qu’on peut voir de plus beau, et elle ne le savait pas : elle n’avait même jamais songé à se regarder sur le bord des fontaines ; elle ne voyait que sa famille, et ne songeait qu’à travailler. Mais le père, accablé d’ennuis, et ne voyant plus aucune ressource dans ses affaires, ne cherchait que la solitude. Sa femme et ses enfants faisaient son supplice. Il allait souvent sur le rivage de la mer, au pied d’un grand rocher plein d’antres sauvages : là, il déplorait ses malheurs ; puis il entrait dans une profonde vallée, qu’un bois épais dérobait aux rayons du soleil au milieu du jour. Il s’asseyait sur le gazon qui bordait une claire fontaine, et toutes les plus tristes pensées revenaient en foule dans son cœur. Le doux sommeil était loin de ses yeux : il ne parlait plus qu’en gémissant ; la vieillesse venait avant le temps flétrir et rider son visage : il oubliait même tous les besoins de la vie, et succombait à sa douleur.

Un jour, comme il était dans cette vallée si profonde, il s’endormit de lassitude et d’épuisement : alors il vit en songe la déesse Cérès, couronnée d’épis dorés, qui se présenta à lui avec un visage doux et majestueux. Pourquoi, lui dit-elle en l’appelant par son nom, vous laissez-vous abattre aux rigueurs de la fortune ? Hélas ! répondit-il, mes amis m’ont abandonné ; je n’ai plus de bien : il ne me reste que des procès et des créanciers : ma naissance fait le comble de mon