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LIVRE iv.

plus d’être à moi : si j’étais à moi, ils le savent, je ne serais qu’à vous seul. Adieu, souvenez-vous des travaux d’Ulysse et des larmes de Pénélope ; souvenez-vous des justes dieux. Ô dieux, protecteurs de l’innocence, en quelle terre suis-je contraint de laisser Télémaque !

Non, non, lui dis-je, mon cher Mentor, il ne dépendra pas de vous de me laisser ici : plutôt mourir que de vous voir partir sans moi. Ce maître syrien est-il impitoyable ? est-ce une tigresse dont il a sucé les mamelles dans son enfance ? voudra-t-il vous arracher d’entre mes bras ? Il faut qu’il me donne la mort, ou qu’il souffre que je vous suive. Vous m’exhortez vous-même à fuir, et vous ne voulez pas que je fuie en suivant vos pas ! Je vais parler à Hasaël ; il aura peut-être pitié de ma jeunesse et de mes larmes ; puisqu’il aime la sagesse, et qu’il va si loin la chercher, il ne peut point avoir un cœur féroce et insensible. Je me jetterai à ses pieds, j’embrasserai ses genoux, je ne le laisserai point aller, qu’il ne m’ait accordé de vous suivre. Mon cher Mentor, je me ferai esclave avec vous ; je lui offrirai de me donner à lui : s’il me refuse, c’est fait de moi ; je me délivrerai de la vie.

Dans ce moment, Hasaël appela Mentor ; je me prosternai devant lui. Il fut surpris de voir un inconnu en cette posture. Que voulez-vous ? me dit-il. La vie, répondis-je ; car je ne puis vivre, si vous ne souffrez que je suive Mentor, qui est à vous. Je suis le fils du grand Ulysse, le plus sage des rois de la Grèce qui ont renversé la superbe ville de Troie, fameuse dans toute l’Asie. Je ne vous dis point ma naissance pour me vanter, mais seulement pour vous inspirer quelque pitié de mes malheurs. J’ai cherché mon père par toutes les mers, ayant avec moi cet homme, qui était pour moi un autre père. La fortune, pour comble