Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/30

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Charles III rêva peut-être, par instants, quelque chose de semblable, mais il eut peur de son rêve, et il ne parvint pas plus à se décider entre Rome et Luther qu’entre François Ier et Charles-Quint. Les progrès, d’abord tout pacifiques, du protestantisme naissant ne lui laissèrent pas le temps de prendre un parti : l’étonnante rapidité du mouvement religieux non seulement à Genève, mais dans le Bugey, dans le Chablais, dans le Piémont, dans tous les replis de la Savoie, confondit l’esprit du faible duc. Pour tout remède, il se jeta dans les bras de l’Eglise ou s’y laissa tomber. Fut-il réellement alarmé par ce grand nombre de fugitifs, italiens et français surtout, qui venaient chercher dans ses États un asile contre l’Inquisition, et le clergé parvint-il à lui faire croire que la Savoie était perdue si elle méritait de s’appeler le rendez-vous des proscrits? Crut-il acheter par des marques de zèle catholique l’appui de l’Eglise contre les villes déjà impatientes du joug, comme Genève, contre les Ligues suisses qui le menaçaient de l’autre côté du Léman, contre le roi de France, secret allié des unes et des autres? Céda-t-il seulement à l’influence austro-espagnole en épousant la querelle de Charles-Quint contre les luthériens?

Quoi qu’il en soit, il paraît difficile de se dissimuler le changement de conduite qui survient vers 1528 et qui s’accentue dans les années suivantes. Un édit des États de Savoie (1528) décrète, renouvelle ou aggrave toute la série de peines contre les hérétiques. L’Inquisition se ranime dans les diverses parties du territoire. On reprend une fois de plus la croisade contre les malheureux Vaudois. Les processions blanches s’organisent, les moines de tous ordres tonnent contre l’hérésie et dénoncent les luthériens. Dans la seule ville de Bourg l’officialité ecclésiastique dresse une liste de 35 bourgeois suspects[1].

Mais le duc de Savoie n’eut pas longtemps la responsabilité de ces exécutions : l’un après l’autre, tous ses domaines lui échappent. Genève avait déjà pour toujours conquis son indépendance. Les Bernois s’étaient emparés de tout le pays

  1. Chevrier, Notice, etc., p. 15.