Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/40

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de main en main et réjoui les étudiants; il la fit imprimer quelques années après, par Oporin, à Bâle, dans un recueil de Bucolicorum auctores : l’élève n’a pas rendu par là grand service au maître, et il faut même qu'il ait été quelque peu aveuglé par l’indulgence des souvenirs de jeunesse pour s’être décidé à publier ces Mopsi et Nisæ metamorphoses, récit en quatre cents vers trop faciles d’une assez grossière anecdote empruntée à la chronique scandaleuse de Lyon.

Mais sous ces divers principalats, même sous Jean Raynier et à plus forte raison sous ses obscurs et éphémères successeurs[1], l’homme qui en réalité tenait la première place dans le collège de la Trinité était un simple professeur, Barthélemy Aneau[2], plus connu sous son nom latin d’Anulus, qui enseignait la rhétorique depuis 1529 et qui ne devint principal qu’en 1540 pour peu de temps et définitivement en 1553. Natif de Bourges, il avait étudié sous le luthérien Melchior Wolmar et avait été sans doute condisciple d’Amyot, de Calvin, de Th. de Bèze[3].

En dépit, si ce n’est à cause de cette origine suspecte, Aneau se montrait exclusivement voué au culte des lettres. Il partageait ses loisirs entre la muse latine et la muse française. Il trouve un jour chez son ami l'imprimeur Mathias Bonhomme une suite de petites gravures destinées à illustrer des emblèmes perdus : il en devine le sens et en refait le texte eu distiques latins, parfois aussi crus que les images elles—mémes : c’est la Picta poesis[4]. Ses essais poétiques en langue vulgaire ont ce mérite et ce réel intérêt d’être un effort, en somme très intelligent et à coup sûr tres nouveau, pour assouplir la langue populaire et faire passer dans l’usage commun la fleur de l’antiquité. C'est ainsi qu’il achevait la traduction en vers francais des Métamorphoses

  1. Jacques Vassuel, Jacques Bobynet, Claude de Cublize.
  2. On dit aussi Laneau, Laigneau, Lagneau.
  3. France protestante, art. Aneau.
  4. On en citerait quelques-uns assez intéressants. Il est à remarquer qu'Aneau est de la même école pédagogique que les Baduel et les Cordier, c’est d'ailleurs celle de Rabelais : il montre dans un de ses emblèmes les odieux effets de la brutalité des maîtres (p. 32), Cholastica generosorum corruptela ; elle change des enfants en ours et en sauvages :
    Picta magistrorum tali est eicone tyrannis
    Quæ puerum naturam efferat ingenuam.