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FABLE CXV.

LA VIEILLE ET SA SERVANTE.


Femme de soixante-quinze ans,
Qui regrettoit encor biens, plaisirs, et parure,
À sa servante adroite et de bon sens
Rappeloit toujours son vieux temps,
Ce qu’elle possédoit, jardins, fraîche verdure ;
Et grands châteaux, et bois charmans :
Je n’ai plus disoit-elle, hélas ! qu’une masure.
J’avois aussi, dans mon printemps,
À la ville maison spacieuse, agréable ;
Société la plus aimable
S’y réunissoit chaque jour ;
Aux modes je donnois la grâce, le bon tour ;
Fine chère et vin délectable
M’attiroient élégans de Paris, de la cour ;
Ce souvenir, Lisette, enfin me perce l’âme :
Temps et malheur ont tout détruit,
Et je n’aurai jamais que ce pauvre réduit.
Lisette un jour lui répliqua : Madame,
À vos yeux affoiblis échappe l’horizon ;
À quoi vous serviront ces longues avenues,
Ces hauts donjons qui s’élèvent aux nues ?
Que feriez-vous de jardins, de gazon,
De vastes bois, de larges plaines ?
Vous ne marchez qu’avec beaucoup de peines,
À l’aide de mon bras, et de plus d’un bâton.
Et pourquoi regretter l’antique bonne chère
Qu’ont jadis fait chez vous vos amis, vos amans ?
Ils ont passé la barque, hélas ! depuis long-temps.