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moi, (avec une lente résignation).

Allons ! au dénoûment ! Je me hâte ;… mais, lien,
Aux patients, tu sais, l’on ne refuse rien :
Ils veulent me parler ; laisse-moi les entendre…
C’est le dernier instant que je le fais attendre :
(À mes vers.)
Ô mes fils, mes amis, votre père est navré…
Parlez ; avec émoi je vous écouterai.

mes vers.

Père, ta volonté soit toujours obéie !…
Tu condamnes, mourons. Sur ta tête vieillie
Dieu n’étende jamais de plus lourd châtiment
Que n’en veulent pour toi nos vœux en ce moment !
Et sans même nous plaindre, en guise de refuge,
Que c’est un vieil ami qui s’est fait notre juge ;
Sans demander comment, en ce point capital,
Il a pu l’imposer son ascendant fatal ;
Comment, toi, lu laissas fermenter sa folie
Jusqu’à le rendre arbitre et de mort et de vie
Sur de pauvres enfants qui n’en avaient qu’à toi ;
Père, sans demander ni comment ni pourquoi,
Nous nous contenterons de courber notre tête,
Et de te répéter : « Ta volonté soit faite ! »
Seulement, à cette heure où tu vas pour toujours
Nous perdre, fruits aimés de tes paisibles jours,
Une dernière fois tourne un regard, ô père,
Sur nous, tristes enfants que ton vœu désespère.
Souviens-t’en de ces jours où notre enfantement,
Te jetait dans la joie et dans l’enivrement ;
Revois-les. Dans la mort, qu’ordonne une voix brève,
Chacun va l’emporter quelque fragment de rêve ;
Chacun va le briser la fleur d’un souvenir.
Ton passé, que plus rien ne saura retenir,
Ton passé va s’éteindre, et dans ta solitude
Plus de chants, plus de vers, ces roses de l’étude ;
Ton espoir heurtera le découragement,
Et tu t’affligeras dans ton isolement.
Quand tu voudras revoir ces heures délirantes
Où tes lèvres mouraient sur des lèvres mourantes,
Où ton front s’affaissait sur un sein abattu,
Sans tes lignes d’amour, quels témoins auras-tu ?
Qui te rappellera tes fraîches promenades,
Tes longs causers du soir avec tes camarades,
Si tu détruis les vers peintres de ces plaisirs ?
Et ces nuits de veuvage en proie aux longs désirs,
Quand leurs traces de feu dans l’eau seront éteintes,
Où retrouveras-tu leurs larmes et leurs plaintes ?
Regarde : tout pensif et rêveur, à huis clos,
L’hiver, à ton foyer, l’un de nous est éclos ;
Plus loin l’autre est l’enfant d’une chaude journée ;
Tu marchais dans les prés sur la fleur inclinée
Quand cet autre, apporté par la brise du soir,
Sur ta feuille encor blanche en jouant vint s’asseoir ;
Un autre t’est venu sur la montagne verte
Où, neuve, aux doux pensers ton âme s’est ouverte ;
Cet autre s’abrita sous le toit d’un ami,
Où, las, après le bal, tu t’étais endormi ;
Un autre à la campagne, ou bien chez ta maîtresse…
En est-il un de nous, dis, qui ne t’intéresse ?
Que nous ne valions rien pour d’autres,… je le crois ;
Mais pour toi ?… réponds-nous ; dis donc, père, pour toi ?

moi.

Je pleure, et n’en peux mais ; vous savez la sentence…

jules, (impatienté).

Ils parlent bien longtemps ? Gare à leur éloquence !