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essence du christianisme

raison la raison, avec le sentiment le sentiment, avec la volonté la volonté, comme des forces bornées, finies, c’est-à-dire nulles. Car limitation et néant sont la même chose ; limitation est un euphémisme pour néant ; limitation est l’expression métaphysique théorique, néant l’expression pathologique, pratique. Ce qui est fini, borné pour la raison, est nul pour le cœur. On ne peut pas s’apercevoir que l’on est un être pensant, aimant, voulant, sans regarder ces facultés comme des perfections, sans en ressentir une joie infinie. Avoir conscience, c’est se prendre soi—même pour objet : la conscience n’est donc rien de particulier, rien de différent de l’être lui-même ; autrement, comment pourrait-il y avoir conscience de soi ?

Il est donc impossible que nous ayons conscience d’une perfection comme d’une imperfection, impossible que nous puissions sentir le sentiment comme borné, impossible que nous puissions penser la pensée comme limitée, finie.

Conscience est affirmation.de soi, amour de soi, joie de sa propre perfection ; c’est le signe caractéristique d’un être accompli ; elle n’existe que dans un être, pour ainsi dire, rassasié, parfait. La vanité humaine confirme cette vérité. L’homme se regarde volontiers dans un miroir, il éprouve du plaisir à se contempler. Ce plaisir est une conséquence nécessaire, involontaire de la beauté de sa forme. Toute belle forme est satis faite d’elle-même, est nécessairement charmée de sa beauté. Il y a vanité quand l’homme se plaît à contempler sa beauté individuelle, mais non quand il admire le visage humain en général. Ce visage, il doit d’admirer, il ne peut en imaginer ni un plus beau ni