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essence du christianisme

mesure de l’être est la mesure de l’intelligence ; si l’un est borné, l’autre l’est aussi. Mais un être, quelque borné qu’il soit, ne sent pas les bornes de son intelligence ; il loue au contraire et estime cette faculté comme une force sublime, divine, et de son côté l’intelligence loue et estime l’être auquel elle appartient. Tous les deux sont en harmonie ; comment pourraient ils tomber en désaccord ? L’intelligence d’un être est un cercle dont il ne peut sortir. L’animal ne voit pas au delà de ses besoins ; sa nature ne s’étend pas non plus au delà. Aussi loin que s’étend ton être aussi loin’ s’étend le sentiment de toi-même, aussi loin ta divinité ! Le désaccord entre l’intelligence et l’être, entre la force de la pensée et la force de production dans la conscience, ce désaccord est d’un côté purement individuel, sans importance générale, et de l’autre il n’est qu’apparent. L’homme qui reconnaît comme mauvaises ses mauvaises poésies est moins borné dans sa nature. parce qu’il l’est moins dans sa connaissance que celui qui est satisfait de ses mauvais vers.

Penses-tu par conséquent l’infini ? Eh bien ! tu penses et tu affirmes l’infinité de la puissance de la pensée. Sens-tu l’infini ? Tu sens et tu affirmes l’infinité de la puissance du sentiment. L’objet de la raison, c’est la raison se pensant elle-même ; l’objet du sentiment, c’est lesentiment se sentant lui-même. Si tu n’as aucun sens, aucun sentiment pour la musique, tu n’entendras, dans la plus belle symphonie, rien de plus que dans le vent qui siffle à tes oreilles, que dans le ruisseau qui passe en murmurant à tes pieds. En effet, qu’est-ce qui te saisit lorsque tués affecté par les sons ? Quoi, si ce n’est la voix de ton propre cœur ?