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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

cherche point à savoir davantage ; mon Dieu, se dit-il, s’est révélé à mon âme, et aucune âme humaine ne serait capable d’en embrasser, d’en supporter une plus grande révélation. Dans la distinction faite entre Dieu en lui et Dieu pour moi, on subit cette illusion de croire qu’il pourrait se révéler, se manifester à nos yeux autrement encore. En effet, si un objet peut paraitre à mes yeux sous plusieurs formes, j’ai raison de parler d’un objet en lui et d’un objet pour moi. Or Dieu parait tel que l’homme est capable de le comprendre. Jamais le genre humain, dit la religion, ne pourra, même dans l’avenir le plus éloigné, comprendre Dieu différemment de Dieu tel que je vous l’ai donné une fois pour toutes. Son Dieu est donc parfaitement connu, circonscrit, pesé par elle pour ainsi dire. Elle, qui se proclame la religion absolue, qui avec un dédain souverain, de par le droit inexorable de l’histoire, passe en revue toutes les religions précédentes, en les condamnant sans exception, elle a sans doute le droit de se dire : « Dieu est Dieu : moi, je le reconnais tout entier et en sa vérité totale ; Dieu est personnalité, je déclare que la personne divine ou le Dieu personnel, c’est l’essence divine elle- même qui s’est montrée sous une forme religieuse. » Elle doit parler ainsi, sous peine de se tuer par le scepticisme ; la distinction susmentionnée entre Dieu en lui et Dieu pour l’homme n’est, au fond, qu’un beau sophisme sceptique et irréligieux.

L’homme appelle, sans hésitation, Dieu ou Être divin, celui qui est l’être le plus élevé, qui est si haut placé que l’homme ne saurait imaginer un être supérieur à celui-là. Comme d’autres créatures peuvent fort bien être comparées à la créature humaine, nous inférons que l’oiseau, si Dieu, par impossible, devenait objet pour l’intelligence de cet animal, se figurerait Dieu nécessairement sous la forme d’un être ayant des plumes et des ailes ; ceci arriverait nécessairement,je le répète, parce que l’oiseau ne doit point connaître une existence, une forme supérieure à la sienne. Mais, si l’oiseau disait : « Dieu qui m’apparaît à moi sous ma forme, sous la forme générale de l’espèce des créatures organiques à laquelle j’appartiens, ce Dieu est probablement en lui un autre ; seulement je ne le sais point au juste. » — L’oiseau ferait un raisonnement peu logique, encore plus, il ferait un raisonnement antireligieux. — Faisons maintenant un pas en avant, et disons que, quand les attributs ont été classifiés parmi les qualités humaines, leur sujet