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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

lui-même éprouve forcément le même sort aussitôt que ceux-là sont devenus des anthropomorphismes, celui-ci le devient également ; en d’autres termes, après avoir rencontré dans les qualités divines d’amour, de charité, de générosité, de personnalité intelligente et morale, autant de qualités humaines, nous voyons que l’existence du sujet divin, la foi religieuse elle-même, sont d’origine humaine, sont des idées humaines. L’homme qui dit que la sagesse, la charité, etc., sont des qualités de son Dieu, prouve par là indirectement qu’il aime la charité, la sagesse, la bonté, la pureté du cœur humain, qu’il les reconnaît comme les qualités les plus nobles, les plus essentielles de l’être humain. Cet homme, pénétré qu’il est des sensations et des sentiments qui se réveillent en lui à tout moment, à chaque impulsion du sang et à chaque mouvement de la respiration, se trouve tant d’existence énergique, tant d’instinct vital qu’il n’hésite point de dire : Mon Dieu lui aussi existe et doit exister.

L’homme déclare donc que son Dieu est un être réellement existant, un être intelligent, un être généreux, un être personnel ; il le déclare par ce très-simple motif que lui-même se reconnaît comme doué de personnalité, de générosité, d’intelligence, d’existence, et que, sans le moindre doute, ces biens-là sont pour l’homme les biens suprêmes, surtout l’existence. La seule différence qu’il y a entre les attributs divins et leur sujet divin, la voici : le sujet avec son existence, l’existence divine, n’apparaît point au raisonnement ordinaire sous la forme anthropomorphique, parce que l’existence de l’homme, cette base primitive de tous les autres biens, porte dans son sein une nécessité tellement impérieuse que l’existence de Dieu est devenue quelque chose d’immédiatement présent à l’esprit humain, quelque chose qui n’a pas besoin de réclamer l’appui de la réflexion tandis que les attributs divins et humains renferment une nécessité qui, n’étant point immédiatement identique avec l’existence de l’homme, doit être circonscrite, déterminée par la conscience, ce qui suppose un acte de méditation. En effet, nous voyons — et c’est une vérité un peu banale — que l’homme existe, soit bon, soit méchant, soit ignorant, soit savant.

De là, l’existence de son Dieu lui parait être au moins aussi indubitable, aussi primitive, aussi acquise à la réalité que la sienne ; j’existe, dit-il, donc mon Dieu existe.