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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

ticularité qu’en posant un seul, vous les posez tous à la fois, parce qu’il n’y a pas entre eux une différence réelle. Ainsi, en n’ayant pas dans les attributs présens les attributs futurs, ou dans le Dieu tel que nous le concevons à présent, en deçà de la tombe, le Dieu tel que nous le concevrons dans l’avenir au delà de la tombe, nous n’aurons point le Dieu d’à présent dans le Dieu futur ; ces deux dieux seront deux êtres différens. Or, cette différence est insoutenable quand il s’agit de la parfaite unité, homogénéité, identité et simplicité du Dieu des théologiens[1]. Vous dites : tel attribut doit être un attribut divin, parce qu’il est de nature divine, c’est-à-dire, qu’il ne renferme point de bornes, point de limites ; or, les autres attributs de Dieu valent évidemment autant ; tout différens qu’ils sont entre eux, ils désignent tous une perfection illimitée ; vous pouvez donc imaginer des attributs divins innombrables qui tous coïncideront dans l’idée abstraite de Dieu, et qui tous auront de commun ce qui rend chaque attribut un attribut divin. Il en est ainsi chez Spinosa.

Ce philosophe parle d’une multitude innombrable d’Attributs divins que la Substance divine possède : il n’en nomme aucun, excepté l’Extension et la Pensée, puisqu’il est en effet très-inutile de les connaître particulièrement. Les attributs eux-mêmes sont inutiles et superflus, ils signifient évidemment chacun la même chose, et en les énumérant tous la philosophie spéculative ne prononcerait pas davantage qu’en énumérant deux seulement : le penser et l’extension. Le penser, pourquoi est-il chez Spinosa attribut divin sinon parce qu’il est compris, conçu, entendu par et de lui-même, ou parce qu’il exprime une chose indivise, primitive, parfaite, infinie ? L’extension de la matière, pourquoi est-elle encore un attribut spinoziste ? évidemment parce qu’elle est dans le même cas.

Ainsi, la Substance, Dieu, peut très-bien avoir des attributs d’un nombre indéfini ; ce n’est point la différence qualitative entre eux qui les rend dignes de figurer comme attributs divins, mais plutôt leur indifférence, leur identité absolue, leur égalité parfaite. En d’autres termes, cette Substance n’a une multitude innombrable d’attributs que, remarquez bien ceci, uniquement parce qu’elle

  1. Aux yeux de la foi religieuse, la seule différence est que le Dieu présent est un objet de la croyance imaginative, et le Dieu futur un objet de l’intuition directe, immédiate, personnelle ; c’est le même, mais dans deux degrés différens de clarté.