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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

en effet, dépendant de l’atmosphère sans laquelle je ne saurais exister ; elle est la condition de ma vie, elle devient par là sujet, moi je ne suis plus qu’objet, si vous voulez. Mais attendez, ce rapport sera bientôt interverti je pense, je médite comme physicien sur l’atmosphère, sur l’appareil anatomique et physiologique de l’acte respiratoire et mon rôle cesse d’être un rôle passif, objectif, je redeviens sujet, j’utilise l’objet en le soumettant à mon intelligence. Le végétal dépend de l’air et de la lumière qui sont, pour lui, deux sujets sans lesquels il cesserait sur le champ d’exister, mais en les absorbant il en fait ses objets. La vie organique du végétal et de l’animal est donc un échange perpétuel d’objet en sujet et de sujet en objet.

L’homme, au contraire, a le pouvoir suprême de faire un moyen, un objet de tout ce qu’il trouve autour de lui, et sa raison est le sujet absolu qui ne permet a aucun objet d’usurper, vis-a-vis d’elle, les droits de sujet par excellence ; c’est à cet égard qu’elle mérite le nom de l’être le plus réel (Ens realissimum) dont les anciens ontothéologiens ont tant parlé : « Au fond, disent-ils, nous ne pouvons concevoir Dieu autrement qu’en lui prêtant toutes les réalités que nous rencontrons en nous, mais toutes ces réalités débarrassées de leurs limites, et élargies à l’infini » (Kant, Leçon sur les relig. posit. 39). Cette opération ne se fait que par l’intelligence, ce dieu sans limites est donc l’intelligence illimitée, bref l’intelligence c’est l’Être-Supême. L’ontothéologie peut être réduite à la psychologie la plus simple.

L’intelligence, c’est l’être indépendant et autonome ; un individu dépourvu d’intelligence manque aussi de caractère ; il se laisse séduire et éblouir, et les autres individus s’en servent comme d’un simple instrument. Libre et indépendant n’est qu’un homme qui pense librement ; en pensant, il ne relève que de lui-même ; l’activité de la pensée est sans contredit une activité primitive, centrale, pour ainsi dire : « Quand je pense, je sais que c’est bien moi-même qui pense, mon moi, et point un autre être quelconque. J’en conclus donc que ce penser n’inhère pas à un autre être au-dehors de mon moi ; j’en conclus que je n’appartiens point à un autre être, que je ne suis point attribut, bref, que je suis un être existant et subsistant pour moi, que je suis substance (Kant, I. c. 80). » Ainsi, nous avons toujours besoin de l’air atmosphérique, et en même