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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

temps nous avons la faculté, comme physiciens, de changer cet objet de notre besoin matériel en un objet de notre activité réflective, en une simple chose théorique. En respirant je suis un objet pour l’air, je suis, en d’autres termes, dépendant de l’air, l’air est alors sujet, moi, je suis objet. Je médite, j’étudie les lois de la physique, et aussitôt ce rapport change, je deviens sujet, l’air devient objet, un objet de ma réaction scientifique. Abstraction faite de la conscience, le végétal lui aussi est un objet dépendant de la lumière et de l’atmosphère, qui sont sujet auprès de lui, et ce même végétal devient sujet, en ce sens que l’atmosphère est plus ou moins dépendante, plus ou moins objet du végétal. Nous ne nous trompons donc point, en soutenant que la vie physique est un échange perpétuel entre sujet et objet, objet et sujet, c’est-à-dire entre dépendance et indépendance.

L’animal et le végétal consument l’air, et l’air les consume son tour : l’intelligence seule, en jouissant de toutes les choses existantes, en les consumant ; théoriquement, ne peut pas être consumée ; elle est donc un être assez riche pour jouir de lui-même, sujet absolu qui ne peut plus être dégradé à devenir l’objet d’un autre ; l’être enfin qui embrasse tout objet comme ses attributs, l’être qui est libre de toute chose et de tout objet.

Autonome, indépendant est ce qui porte en soi son essence ; non autonome est ce qui doit chercher au-dehors son essence ; delà cette contradiction permanente qu’on appelle la vie, car il faut bien dire de la vie qu’elle a son essence tant en elle qu’en-dehors. La raison, l’intelligence seule est exempte de cette contradiction : je dois toutefois faire remarquer, pour éviter un malentendu, que dans ce chapitre je ne me sers point des expressions : être autonome, etc., dans mon sens, mais dans celui de l’ontothéologie, de la théologie métaphysique ; mon but à présent est de démontrer que la métaphysique est susceptible d’être réduite à la psychologie. Le résultat de cette réduction est que les attributs ontothéologiques sont purement et simplement les attributs de l’intelligence.

L’unité de l’intelligence se traduit, selon cette méthode, par le dogme de l’unité de Dieu. L’intelligence a pour caractère essentiel, on le devine, la conscience de son unité et de son universalité ; elle est précisément la conscience de son identité absolue, de sorte que tout ce qui lui apparaît comme raisonnable et rationnel,