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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

art. Léou). L’hérétique est plus infâme que les voleurs et les assassins, ce serait donc un crime de le protéger par un serment.

Ainsi, qui dit : le chrétien quand il est immoral, ne l’est que parce qu’il est homme, devrait en même temps comprendre que le chrétien quand il est vertueux, l’est précisément parce qu’il est homme. Cette distinction entre l’homme et le chrétien dans un même individu chrétien est louche, mais enfin, quand on y tient il faut être conséquent jusqu’au bout. L’homme a été déjà bon avant le christianisme. Et encore, un individu dépravé qui en chrétien suit la loi religieuse, ne le fera que parce qu’elle lui a été commandée, mais il la regardera toujours comme une puissance extérieure qui lui est imposée, et de tous les dogmes du christianisme cet homme ne s’inclinera que devant celui de la perversité innée à l’essence humaine ; ce dogme lui sera plus sacré que celui de l’existence de Dieu. Il se cramponne donc à la Bible, ce document extérieur, et il hait ceux qui ne font pas de même, comme capables de tous les crimes.

Le dogme de la perversité radicale de l’homme est lui-même au plus haut degré un dogme pervers, il lui suce la moëlle des os, il le rend machine, il l’avilit en même temps à ses propres yeux ; tant que l’humanité croira ce dogme, elle restera en effet misérable et abjecte. La vertu intérieure est déshéritée, quand le péché possède seul le privilège de se propager de naissance en naissance ; alors on ne peut plus croire au bien moral. Une religion poositive ne peut avoir une force vraiment morale que là où elle est une ecclesia pressa et militans en face d’une religion ennemie qui la frappe de proscription : voyez l’ancien christianisme et la reforme protestante. Dans sa première époque elle est négative contre une autre religion positive constituée ; elle est alors appelée athéisme, hors la loi commune, mais elle est puissante et belle par le droit imprescriptible et naturel de la conviction et de la conscience. Mais ces beaux temps passent vite ; le seul moyen de leur donner de la durée serait de laisser libre la non-croyance à côté de la croyance. La moindre distinction matérielle, directe ou indirecte, que la foi établit entre elle-même et la non-foi, y cause non-seulement une inextricable confusion, mais aussi la ruine complète de la foi : voyez encore le christianisme et la réforme.

Il serait absurde de déclarer pour autant d’anthropopathismes et