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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

il contredit la religion quand il dit dans sa Théodicée, que la défense divine était comme celle qu’un père fait à son enfant de jouer avec des couteaux ? (112) Leibnitz veut par ce sophisme éviter le décret purement arbitraire, il ne voit donc pas que toute la scène se passe sur un sol supranaturaliste ?

Les scolastiques sont, comme saint Augustin, assez naïfs pour étudier, entre autres, les qualités physiques ou plutôt hyperphysiques du corps d’Adam avant le péché : ils ne se gênent point de s’exprimer avec beaucoup de franchise : « si le pèche originel n’eût pas eu lieu, sicut alia membra corporis aliis admovemus, ut manum ori sine libidinis ardore, ita genitalibus uterentur sine aliquo pruritu carnis » (P. Lombard. sentent. II. distin. 20, 83), et selon Albert-le-Grand (Summa. 63, 168), ce corps était exempt de douleur même quand des pierres fussent tombés dessus. Comment Leibnitz a-t-il pu démontrer la transformation, sans miracles, de ce corps adamite en un corps ordinaire. On a beau être génie universel, on n’a pas pour cela le privilège de se jouer des mots et des notions, et d’écrire : « je me rappelle le géomètre et astronome français Auzout, virum non vulgaris doctrinae, inter maxima argumenta existentiae Dei non inepte (?!) referre in diversis sexibus partium generationi dicaratum consensum (Opp. omn. II, 144). Et quant au péché originel, on connaît la ruse théologique pour le justifier aux yeux de l’équité : « Adam renferma en lui tout le genre humain, donc tout le genre humain pécha en et par lui, donc nous tous devons être punis » (P. Lomb. 2, 30. Alb. Mag. 197. Pro peccato originali punitur parvulus licet non sit suum personaliter, tamen suum est naturaliter). Charmant ! Mais ce qu’il y a de plus beau dans cette atrocité, c’est que si toute l’humanité a péché en Adam, elle a été punie aussi en lui ; Adam est censé représenter le genre humain dans le premier acte du drame, il doit l’être aussi dans le second ; Adam a été châtié par perte du paradis et de l’immortalité corporelle, sa mort était donc la plus cruelle, une mort de signification universelle. Dieu par

    ne devait point donner aux dogmes une signification forcée. M. Henri Heine (Salon, II, 106) dit que Leibnitz exerçait une heureuse influence sur l’Allemagne ; je crois le contraire, et en tout cas elle me paraît avoir été bien inférieure en qualité à celle de Descartes sur la France. (Note du traducteur)