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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

conséquent, qui se disait un être aimant, devait être concilié, Adam est déjà le christ, et le péché originel, ou originant comme dit Albert-le-Grand, a été déjà effacé en Adam même. Il n’est donné qu’à la théologie de produire des thèses de cette force, où la conclusion anéantit la prémisse ; la théologie ne se base dès l’antiquité que sur le mendacium et la pia fraus, elle est condamnée à être continuellement ballotée entre le nihilisme des abstractions les plus creuses, et l’anthropomorphisme le plus abject. Elle n’a pas, Je le sais, doté son Dieu de cette sensualité charnelle qu’il y avait dans les divinités païennes, mais en revanche elle lui a prêté toutes les misérables et odieuses passions de la personnalité, toutes, entendez-vous ? sans aucune exception ; elle a institué ou du moins sanctionné par là l’idolâtrie de la personnalité, cette dégoûtante vénération pour l’orgueil, la présomption, la jalousie, l’envie, le faux honneur, le caprice, tout cela est respecte en tant que faisant partie immanente et inhérente (!) de la personne humaine. C’est le mauvais côté de l’individualisme, le subjectivisme, et devant lui il n’y a plus de moralité objective qui tienne ; tout à fait comme le Dieu des théologiens qui n’agit jamais autrement que d’après son bon plaisir, ce Dieu qui s’est immolé la justice, l’équité le bon droit en condamnant Adam et les enfants d’Adam. Ainsi, fonder la vertu sur la théologie, c’est-à-dire sur le dogme de l’existence d’un Dieu personnel, est un hysteron proteron et les vertus du chrétien risquent fort de n’être que spécieuses, apparentes, puisqu’elles ne naissent point, d’après son propre aveu, de l’amour direct de la vertu, mais indirectement, de ce qu’il appelle amour de Dieu. Or ce Dieu est un être personnel, et la notion de la personnalité embrasse tout ce qu’il y a dans l’homme, absolument tout ; donnez-lui en outre comme attribut la sainteté, attribut éminemment suspect par ce qu’il craint la lumière : et vous pouvez y placer tout intérêt égoïste, toute idée déraisonnable, et toute pensée immorale. Il me paraît nécessaire d’insister sur ce culte de la personnalité, je le considère comme diamétralement opposé à celui de la vertu antique (ethica), du Bien (Kalon Kagathon), qui est assez grand par sa force intérieure pour se passer de la forme individualisée. Avec le Dieu personnel vous intronisez un législateur extérieur, une très-haute police, et Fred. Schlegel avait raison de se moquer du Dieu éminemment juridique dans la Théodicée de Leibnitz. Si