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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

un peu mieux que leurs divinités ; mais ne me dites pas qu’il faut suivre les commandements de Dieu et non ses actes : l’exempte est plus puissant que la parole. Il en est de même de tant d’actes des saints que la théologie donne pour modèles : l’assassinat d’Abraham sur son fils Isaac est un de ces faits bibliques qui, lui seul, est capable de bouleverser l’intelligence, le bon sens, le bon goût, le cœur et le caractère, parce qu’il efface toute différence objective entre le bien et le mal ; l’infanticide n’est donc qu’un crime formel, et point un crime essentiel, matériel. Jurieu dit avec une louable franchise : « ce qui va décider de tout, c’est le droit souverain de Dieu sur les créatures, cette puissance sans bornes doit imposer silence… Les noms d’être, de substance qui pense, volonté, liberté, justice sont tous noms équivoques qui ne signifient pas en Dieu, ce qu’ils signifient dans l’homme[1], (vie de M. Bayle : Desmaiseaux 105) ; c’est-à-dire, les attributs a, b, c ne signifient plus a, b, c : Dieu est en colère, dit le vrai théologien, mais en colère, sans colère. Le vrai théologien est donc un falsificateur de notions et paroles ?

Scientia sin charitate inflat, charitas sine scientia aberrat, scientia cum charitate aedificat dit saint Bernard, mais il ne faut jamais prendre à la lettre de pareilles expressions théologiques. Toute phrase, tout mot a un double sens dans la bouche théologique, un sens terrestre et un autre surterrestre ; le Langage religieux est une amphibologie d’un bout jusqu’à l’autre. Ainsi, science

  1. En combattant la théologie, le théisme du xviie et xviiie, surtout celui de la franc-maçonnerie, avait quelque chose d’imposant et de pur : « Tu adores un Dieu par Mahomet ? et toi par le grand Lama ? et par le pape ? Eh, malheureux ! adore un Dieu par ta propre raison ! » dit lord Rollingbroke (Exam. import. en 1736) ; « Nous sommes plus d’un million d’hommes dans l’Europe qu’on peut appeler théistes, nous osons en attester le Dieu unique que nous servons » écrivent des théistes allemands à Voltaire « le grand homme français ; » ils se moquent avec une ironie aussi amère, aussi inintelligente et ignorante, mais aussi noble et chaleureuse, des dogmes chrétiens et hébreu, que les pères de l'Église des dogmes romains et grecs. Le christianisme, devenu église opprimante, d’opprimé qu’il avait été pendant quelques sicles seulement, avait tort de se récrier contre la sainte colère du théisme, il partage le sort du mahométanisme, du mosaïsme, du bouddhisme, du bramanisme, du laotséisme qui tous se dissolvent à peu. Le théisme à son tour s’écroule. Et cela doit être (Voyez M. Daumer : 'Religion du Nouveau Monde). (Le traducteur)