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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

contraire, on comprend l’essence de Dieu comme humaine, on ne rencontrera plus de difficulté d’admettre logiquement sa forme également humaine. La doctrine dogmatique exprime cette vérité logique à sa manière, quand elle dit : Ce n’est point la première de Dieu, c’est la deuxième qui s’est incarnée, ou qui représente l’homme en face de Dieu ; il s’agit donc de prouver que cette deuxième n’est au fond que la première, la Personne totale, toute et entière de la religion. Sans ce médiateur (terminus medius a quo de l’incarnation), le phénomène devient inintelligible. Il faut rejeter comme appartenant au matérialisme religieux le plus grossier et le plus stupide cette autre thèse, qui dit : « L’incarnation est un fait historique qui n’est enseigné que par une révélation théologique. » L’incarnation est au contraire, une conclusion basée sur des prémisses qui sont très-claires, très-nécessaires. Il faut encore éviter l’erreur de vouloir déduire l’Incarnation par la méthode métaphysique ; elle n’est bonne que quand il s’agit de la première Personne, qui ne s’est jamais incarnée. Ma méthode, que je voudrais appeler la méthode critique et génétique (ou développante) est opposée à celle des métaphysiciens mystiques et spéculatifs ; elle ne s’étonne point de l’incarnation, et, loin d’y voir un mystère inconcevable, elle va l’expliquer nettement en le réduisant à ses éléments constitutifs, l’amour humain. La méthode métaphysique ne se rapporte qu’à la première Personne (celle-ci, comme je viens de le dire, ne s’incarne pas, elle n’est point dramatique) : on n’en saurait faire usage à l’égard de la deuxième Personne que quand on voudrait, avec intention et évidence, déduire de la métaphysique la négation de la métaphysique.

Dieu est l’Amour, dit le dogme. Nous y trouvons deux termes : Dieu–Amour. Mais quelle est la signification de cette phrase ? Est-ce dire que Dieu est un Être qui diffère de l’Amour ? Comme si nous disions d’un individu humain que nous aimons : « C’est l’Amour lui-même, c’est l’Amour en personne ? » Évidement, il en est ainsi ; l’Amour est ici comme attribut particulier de Dieu, il forme l’appendice de Dieu. Dieu qui est Amour, est aussi et en même temps Toute-Puissance, Sagesse, Éternité, etc. En d’autres termes, Dieu et l’Amour ne sont point identiques ; l’Amour n’est point Substance, il n’est qu’Attribut et Accident ; Dieu peut aussi se manifester autrement, par exemple comme Toute-Puissance,