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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

combinaison mystérieuse, un fait synthétique ; l’homme-Dieu est, au contraire, un fait analytique.

C’est un mot humain avant une signification également humaine. S’il y avait ici contradiction, elle existerait déjà avant l’incarnation, dans la combinaison des notions Dieu, Providence, Amour ; tandis qu’il a été prouvé précédemment que l’amour, pour se manifester, a absolument besoin de se montrer à l’objet aimé, de le voir et d’être vu. Un poète a dit : « J’aime celui qui me veut du bien, et je veux voir mon bien-aimé ; le regard de l’amour me portera du bonheur. » La poésie est ici une meilleure dialecticienne que toute la doctrine sophistique des théologiens spéculatifs. Et saint Jean l’exprime très-clairement (I, 4, 19) : « Aimons Dieu, puisqu’il nous aima le premier. » Ainsi, l’homme est l’objet de l’amour de son Dieu ; le but de cet amour, c’est l’homme ; en d’autres termes, l’homme, en aimant ce Dieu, ne fait qu’aimer l’amour, ou l’amour est ce qu’il y a de plus sublime, de plus riche, de plus beau dans l’homme. L’amour est divin ; voilà le mot de l’énigme. Ce mot, si simple et si grandiose, n’existe pour la réflexion des théologiens que comme un mot accidentel, comme un appendice peu important mais, pour l’essence de la religion, ce mot est la vérité, la seule vérité. — Quant à l’adoration de l’homme par l’homme chez les païens et chez les chrétiens, elle a été différente, mais dans un autre sens différente que la théologie raisonnée voudrait l’interpréter[1].

Le christianisme adore Dieu, mais il l’adore dans l’homme ; saint Paul dit « que Dieu, avec toute sa richesse infinie se trouve corporellement dans le Christ ; tu ne chercheras donc plus Dieu dans le soleil, ni dans la lune, ni ailleurs, mais dans son Fils, né de la Vierge Marie. Tout ce qu’on pense de Dieu, si ce n’est dans le Christ, n’est que de l’illusion et de l’idolâtrie (Luther, VI, 47). » Cette adoration de Dieu dans l’homme n’est que l’adoration de l’homme comme Dieu ; Luther dit : « Voyez les Juifs, les Turcs, ils nous reprochent d’adorer un homme qui avait des besoins matériels et naturels (48). » Et, en effet, quand on adore Dieu dans la raison, on l’adore comme être de la raison, ou, mieux dit, comme la raison ; adorez Dieu dans les beaux-arts, et vous adorez l’être des

  1. Le traducteur transcrit ici une dissertation de M. L. Feuerbach (1844).