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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

lonté, intelligence, mémoire : voyons maintenant où nous conduira ce chemin.

Dieu, dit-on, aime, pense, et c’est lui qu’il aime, c’est lui qu’il pense ; l’objet aimé, l’objet pensé par Dieu, c’est Dieu. Son existence est donc identique avec la conscience qu’il a de son moi, de sa personnalité ; un Dieu qui n’a pas conscience de son existence, n’a pas d’existence ; ainsi donc la conscience que Dieu a de lui-même, c’est en langue dialectique la conscience que la conscience a d’elle-même comme d’une vérité absolue ou divine. C’est là une première interprétation de la Trinité.

Plus loin nous y rencontrons Dieu le Père, cet être surmondain, surnaturel et retiré de l’univers, trônant dans toute la splendeur solitaire de son incomparable et terrible majesté ; Dei essentia est extra omnes creaturas, dit Jean Gerhard (Médit., 31) ; sicut ab aeterno fuit Deus in seipso, ab omnibus ergo creaturis amorem tuum abstrakas, ce que Tauler, le grand frère-prêcheur allemand, exprime comme suit : « Tu dois te passer de toutes tes créatures, si tu veux posséder leur créateur. » Il en résulte que Dieu, l’être solitaire par excellence, s’appelle, en langue ordinaire, l’indépendance absolue, la solitude intérieure où l’homme descend pour rester tranquille avec soi-même, retiré du monde et de la nature universelle. Cette phase de l’être humain est ce que des philosophes grecs entendaient par le mot autarkia, la méditation qui, contente et heureuse de sa propre énergie. fait abstraction de l’univers et vit en t’He-met’ie. Or, ce Dieu autarque ne peut plus suffire à l’homme ; il y place une deuxième personne ou hvpostase, Dieu le Fils, qui est différent de lui à l’égard de la personnalité et identique avec lui à l’égard de l’essence. Dieu le Père, c’est le moi, l’Ego ; Dieu le fils, c’est le toi, l’Alter-Ego. Dieu le Père, c’est la pensée solitaire, Dieu le Fils, c’est l’amour, la charité qui ne saurait exister seule. Ces deux Dieux, qui ne font qu’un Dieu, sont par conséquent l’homme pris en totalité, l’homme complet. La vérité du dogme mystérieux est donc celle-ci : La vie commune est la seule vraie, la seule bonne, la seule divine ; ce que la religion, comme toujours, ne dit que d’une manière indirecte et louche, quand elle enseigne que Dieu est la vie (ou l’existence et l’être) de l’amour, de l’amitié, de la charité. La religion déplace chaque fois l’attribut et la substance. — La troisième hypostase, le Saint-Esprit, n’est qu’une personnification peu logique du lieu qui