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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

natale repose sur un terrain volcanique ; les rues sont pavées de basalte. — Un homme religieux est tout à fait incapable de voir le monde autrement que par le médium de la religion, dans les brouillards resplendissants de l’imagination comme dans un miroir merveilleux, et Boehme avec sa sympathie infinie pour la nature est forcé de distinguer en Dieu deux êtres divins. Il aurait été affreux pour cette âme pieuse d’admettre la co-existence de deux principes indépendants l’un de l’autre, comme les anciens mages et les manichéens l’avaient fait : mais il déduit tout ce qui est amer, acide, âcre, froid, sombre de l’Acreté et de l’Amertume de Dieu ; tout ce qui est doux, suave, tiède, lumineux, il le déduit de la Douceur et de la Lumière de Dieu. « Voilà donc, dit-il, les créatures sur la terre, dans l’eau et dans l’air, chacune ou bonne ou mauvaise : des bêtes venimeuses de par le centre des Ténèbres, d’après la force de la sombre Fureur, ce sont des animaux qui demeurent dans des trous obscurs et n’aiment point à sortir, le soleil leur fait peur. Tu dois savoir l’origine d’une bête quand tu sais ce qu’elle mange et comment elle demeure, car chaque créature veut rester là où est sa source et sa racine : ce que je dis n’est guère difficile à comprendre. » II continue dans son langage naïf et éloquent : « Regardez l’or, l’argent, le diamant, bref tout métal luisant, cela vient de la Lumière qui a lui avant l’époque de la Colère de Dieu, etc. » Tout ce qu’il y a sur terre, la théosophie le met pour ainsi dire en double en le répétant dans le ciel. Swédenborg trouve dans ses visions que « les anges ont là-haut des maisons à plusieurs étages, avec des chambres à coucher, des salons, des antichambres, entourées de jardins à fleurs et de prairies, ils ont aussi des vêtements, mais tout bien plus beau que chez nous » (Écrits choisis, 1, 190), et Boehme voit même une faible image de l’Éternité céleste dans tout ce qui est liquide et vaporeux sur terre. « Mais, dit il, je vous prie, n’entendez pas cela à la lettre, comme s’il y avait réellement un arbre de bois dans le ciel, ou un rocher de qualité terrestre : non, ce n’est pas ainsi je veux dire qu’il y est véritablement et spirituellement à la fois. » Boehme veut dire imaginativement, imaginairement ; les objets terrestres se reflètent dans le miroir de son âme et leurs images sont transférées dans le ciel par son imagination, après avoir été embellies. La simple intuition, au contraire, reproduit les objets directement et sans les idéaliser :