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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

monde matériel, que les naturalistes très chrétiens ne veulent pas qu’il soit déclaré existant pour l’homme.

Mais, si l’homme est le but de la création, il en est aussi le motif : tout but est en même temps l’agent moteur de l’action. La différence entre l’homme but et l’homme motif de la création est fort simple : le motif est occulte, le but est manifeste. L’homme se comprend bien comme le but, mais non comme motif ; celui-ci lui apparaît sous la forme d’un autre être personnel. Clément d’Alexandrie déjà s’est prononcé (Coh. ad gent.) dans une phrase remarquable comme suit « At nos ante mundi constitutionem fuimus, ratione futuræ nostræ productionis, in ipso Deo quodammodo tum præexisantes[1]. Divini igitur Verbi sive Rationis, nos creaturæ rationales sumus, et per eum primi esse dicimur, quoniam in principio erat Verbum. » Le mysticisme chrétien est encore plus vrai et plus explicite « L’homme qui date de l’éternité, avant tout temps, fait avec Dieu toutes les œuvres que Dieu a faites il y a mille ans ou qu’il fera dans mille ans. C’est par l’homme que toutes les créatures sont entrées au monde (Sermons de quelques maîtres allemands avant Tauler, p. 5, p. 119). » Mais cette puissance supérieure et créatrice est évidemment son propre être à lui, sa volonté illimitée, sa personnalité mise hors tout contact avec l’univers, sa subjectivité séparée de tout le reste et idéalisée. l’intérêt qu’on prend à ce mythe d’une création tirée du néant, et l’antipathie pour les cosmogonies panthéistes. Tout effort de la théologie spéculative, ou de la philosophie spéculative, de dériver de Dieu l’univers, doit donc rester stérile, puisqu’on ne sait pas même ce que c’est que création.

L’homme se distingue de la nature. Cette différence, c’est le Dieu de l’homme : la différence de Dieu et de la nature est identique avec celle de la nature et de l’homme, le panthéisme et le person-

  1. C’est comme dans les sciences naturelles, la fameuse distinction de la génération aequivoqua et de la génération ex ovo ; si vous admettez l’origine actuelle de certains animaux ou végétaux sans des œufs préalablement existants dans l’air, dans la surface des corps, etc., vous admettrez, du moins, que ces êtres ne peuvent naître autrement que par le concours nécessaire de certaines conditions vitales et indispensables ; or ces conditions ayant existé avant, occupent la place de ce qu’on appelle œuf dans l’autre génération ; dans l’une comme dans l’autre il y a donc préexistence.  (Notes du traducteur.)