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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

1000, et de là jusqu’en 1540, n’ont jamais cessé de s’attendre, jour par jour, à la disparition de l’univers nos exégètes ont beau le nier, le Christ de l’ÉvangiLe prédit à plusieurs reprises et avec beaucoup de précision la fin prochaine du monde politique et naturel. Or, l’histoire de l’humanité est précisément dans la différence entre l’individu et le genre : là où cette différence finit, où l’individu se confond avec le genre, l’histoire n’a plus qu’à fermer son livre et se jeter dans t’abîme, comme le sphinx d’Œdipe. L’homme n’a plus alors aucune autre chose à faire, que de s’approprier le plus prêchant la fin des temps et l’apparition de Dieu Finita est, plaudite. Précisément parce que l’identité immédiate du genre et de l’individu franchit toute limite et mesure de la nature et de la raison, il était nécessaire de déclarer cet individu universel et idéal, un être transcendant, surnaturel, céleste. On ne peut pas inférer de la raison l’identité immédiate du genre et de l’individu ; l’imagination seule est capable d’opérer cette identification. Pour l’imagination il n’existe rien d’impossible, elle est la productrice des miracles : il ne faut donc pas effacer ceux-ci, en conservant le Christ du dogme. Ce serait maintenir le principe et en nier les conséquences ; le Christ biblique ou dogmatique, sans ses miracles (et le plus grand de tous les miracles est lui-même), serait nul.

Le christianisme manque comptétement de l’idée du genre ; la preuve est cette doctrine bizarre qu’il prône avec tant de ferveur et de fureur pendant près de deux mille années, le fameux péché originel dont tous et chacun sont infectés. Évidemment cette doctrine du péché en permanence se base en dernière analyse sur le désir, ou sur le commandement, que l’homme individuel cesse d’être individu. Pour formuler ce désir il faut déjà avoir supposé que l’individu puisse être le représentant suffisant du genre humain : et selon Leibnitz l’individu est en effet un absolu, le miroir de l’infini et de l’univers. Il y a là toutefois une restriction comme il exist un nombre considérable d’individus, chacun d’eux est un miroir isolé, et partant limité, de l’infini. Mais cette théorie chrétienne du péché originel pèche elle-même, car elle n’a pas la moindre connaissance de ce qu’on appelle la société humaine ; elle ne sait pas que, tout individu étant pécheur, tous pris dans leur ensemble et mis en contact social, se purifient par le progrès histori-