Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
282
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

gardez en haut et levez vos fronts, car votre affranchissement approche (saint Luc, 21, 18). » « Ainsi, soyez braves à l’heure qu’il est, et priez, pour être estimés dignes d’échapper à tout cela quand il arrivera (saint Luc. 21, 36). »

Les païens, au contraire, identifient leur sort avec celui du monde : « Cet univers qui embrasse toutes choses divines et humaines, disparaîtra un jour et plongera dans les ténèbres et la confusion primitives. Eh, qui voudrait déplorer la ruine des individus ? (Est nunc aliquis, et singulas comploret animas !) Qui en effet est si arrogant, si superbe, qu’il voudrait être une exception dans cette nécessité universelle de la nature, quand toutes choses seront appelées à périr par une mort commune ? « Senèque (Consol. ad Polyb. 20.) «Et par conséquent, quand la fin des choses humaines sera arrivée… personne ne sera protégé par des murs ni par des châteaux, et les temples ne seront plus utiles à ceux qui prieront (Nat. quaest. III, 29). » Voilà donc de nouveau la différence caractéristique de ces deux adversaires : le païen oublie sa personne, il ne pense qu’à l’univers — le chrétien oublie l’univers, il ne pense qu’à sa personne. Mais hâtons-nous d’ajouter que le païen, après être mort avec son univers, va renaître avec lui à l’immortalité. Le chrétien regarde l’homme comme un être élu, l’immortatité est son privilège ; le païen est plus libéral, car bien qu’il ne fasse guère grand cas de l’homme, il veut la renaissance et l’immortalité pour tous les êtres sans exception.

Les chrétiens s’attendent une fin prochaine du monde, parce que leur religion n’a pas un principe fécond ; tout ce qui se développa pendant dix-huit siècles au sein de la société chrétienne, l’a fait malgré le christianisme, en dépit de son essence primitive. Les païens reculent cette disparition universelle dans un avenir très éloigné, ils croient qu’il ne faut pas rapporter tout à soi-même, qu’il faut encore laisser exister d’autres générations humaines qui viendront après l’actuelle : Veniet tempus quo posteri nostri tam aperta nos nescisse mirentur ; c’est l’idée du progrès humain (Senèque, Nat. quaest. 7, 25). Quand on place l’immortalité en soi, le développement historique est fini en principe, et le mot de saint Pierre : « Nous attendons une autre terre et un autre ciel, » c’est-à-dire surnaturels, constate précisément ce que je viens de dire, car avec le monde surnaturel qu’il nous fait espérer, le